Le décret du 20 mai 2016, applicable depuis le 1er août dernier, a décidé que l’appel des jugements des conseils des prud’hommes serait désormais soumis à la procédure avec représentation obligatoire, laquelle serait assurée par les avocats et les défenseurs syndicaux. Classiquement qui dit représentation obligatoire dit postulation : la Chancellerie considère que ça n’est pas le cas en l’espèce, ce qui pose quelques difficultés pratiques.
Par ailleurs le décret a mis fin au principe de l’unicité de l’instance spécifique à la matière prud’homale : si cette évolution peut paraître une bonne chose, elle doit être toutefois mise en perspective avec la jurisprudence Cesareo qui impose une concentration des moyens à laquelle les praticiens ne sont pas tous habitués.
Premier piège : la constitution de l’avocat non « postulant »
1. Depuis l’entrée en vigueur, le 1er août dernier, du décret du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, l’appel des jugements des conseils des prud’hommes est désormais « formé, instruit et jugé suivant la procédure avec représentation obligatoire » (C. trav., art. R. 1461-2).
2. Si l’on se reporte aux dispositions du code de procédure civile applicables dans « la procédure avec représentation obligatoire », cela implique le respect des articles 900 à 930, parmi lesquels figurent l’obligation de constituer avocat lors de la déclaration d’appel (C. pr. civ., art. 901), l’obligation faite aux intimés de constituer avocat (C. pr. civ., art. 902), les articles 903, 904, 911, 920, 921, 923, 924, 927 du code de procédure civile ne concernent, là encore, que les avocats « constitués ».
3. L’article 930-1 a trait à la communication électronique entre avocats, l’article 930-2 en exonérant les défenseurs syndicaux.
4. La difficulté à laquelle nous allons être confrontés en tant qu’avocats travaillistes tient au fait que désormais, si la procédure devant les chambres sociales de la cour suit le régime de la procédure avec représentation obligatoire, cette dernière ne nous est pas réservée puisque nous la partageons avec les défenseurs syndicaux.
5. De plus, depuis la loi du 31 décembre 1971 (modifiée par celle du 6 août 2015), qui dit « représentation obligatoire » par un avocat constitué, dit mise en œuvre des règles de la « postulation » (et territorialité, en particulier).
6. S’il n’existe pas de définition légale de la postulation, la Cour de cassation y a pallié par un arrêt du 28 janvier 2016 (Civ. 2e, 28 janv. 2016, n° 14-29.185, D. 2016. 321 ; D. avocats 2016. 44, obs. L. Dargent ) en ces termes : « la postulation consiste à assurer la représentation obligatoire d’une partie devant une juridiction », tout en rappelant qu’« un avocat ne postule pas lorsque la représentation n’est pas obligatoire ».
7. La transposition de ces deux principes à la matière prud’homale voulait que, devant la cour, la représentation étant désormais obligatoire, la postulation s’imposait.
8. Cette logique est bousculée par la Chancellerie qui, aux termes de deux « dépêches » (dont la portée juridique est celle d’une circulaire) précise que, de son point de vue, la nouvelle procédure issue du décret du 20 mai 2016 ayant instauré « une procédure spécifique de représentation obligatoire propre à la matière prud’homale » (comprendre, une représentation mixte par avocat ou par défenseur syndical), « la représentation devant la cour d’appel statuant en matière prud’homale demeure ouverte, à partir du 1er août prochain, à tout avocat, sans postulation » (V. dépêche du 27 juill. 2016).
9. Dans la même logique, la Chancellerie avait déjà fait savoir, aux termes d’une dépêche du 5 juillet 2016, que le timbre fiscal de 225 € (normalement exigible lorsqu’un appel est interjeté dans le cadre d’une procédure dans laquelle « la constitution d’avocat est obligatoire », conformément à l’article 1635 bis P CGI), n’avait pas vocation à être perçu en matière prud’homale.
10. Ces affirmations se heurtent aux dispositions issues de la loi du 6 août 2015 qui, modifiant l’article 5, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971, rappelle que lorsque les avocats « postulent, ils ne peuvent le faire que devant la cour dans le ressort de laquelle ils ont établi leur résidence professionnelle », si bien que pour déterminer si un avocat « postule », on se contente de vérifier si la représentation est obligatoire ou non.
11. La Chancellerie balaie l’argument en faisant valoir que « l’esprit de la réforme issue de la loi du 6 août 2015 et de ses décrets d’application va dans le sens de l’exclusion de la postulation devant les cours d’appel en matière prud’homale. Elle s’oriente ainsi vers une disparition des monopoles dans un but d’ouverture et de simplification des secteurs économiques et non vers leur extension » ; quant au décret du 20 mai 2016, il « instaure une procédure spécifique de représentation obligatoire propre à la matière prud’homale » si bien que les avocats pourront représenter les parties devant toutes les cours, sans limitation, puisqu’il n’est pas nécessaire de postuler en la matière.
12. Les règles de la postulation territoriale ne s’appliquent donc pas en cas d’appel d’un jugement prud’homal, dès lors que la représentation par défenseur syndical constitue désormais le principe et la représentation par avocat, l’exception ….
13. Pour autant, la procédure d’appel en matière prud’homale, désormais régie par les articles 900 à 930 du code de procédure civile, impose aux (seuls) avocats l’obligation de se constituer puis d’échanger leurs écritures par voie électronique (via le réseau privé virtuel des avocats, RPVA).
14. Or, un avocat ne peut communiquer par le RPVA qu’auprès de la cour dont dépend son barreau (laissons de côté l’exception qui autorise les avocats du barreau de Paris et ceux du barreau de Nanterre à postuler devant les cours d’appel de Versailles ou de Paris, lorsqu’ils ont postulé en première instance, puisqu’en matière prud’homale, il n’y a pas de postulation en première instance).
15. Par conséquent, même si la règle de la postulation ne s’impose pas en matière prud’homale devant la cour, elle s’impose en pratique puisque sans correspondant, l’avocat dont le cabinet n’est pas établi dans le ressort de la cour, ne pourra échanger ni avec la Cour ni avec ses confrères ; beau paradoxe, puisque la réforme engagée « dans un but d’ouverture et de simplification des secteurs économiques » aboutit à ce que là ou un avocat pouvait représenter de bout en bout une partie à un procès prud’homal, il en faudra parfois désormais deux …
16. Autre paradoxe : les défenseurs syndicaux peuvent, quant à eux, assurer une représentation « dans le ressort des cours d’appel de la région » dans laquelle ils sont inscrits, sauf s’ils assistaient ou représentaient la partie en première instance, auquel cas ils ne subissent aucune limitation territoriale (C. trav., art. D. 1453-2-4).
17. Outre qu’une région peut être difficile à déterminer (parle-t-on de région administrative ?), elle peut avoir plusieurs cours (l’Ile-de-France, par exemple, en compte deux : Paris et Versailles), la situation n’est donc pas équitable : les défenseurs syndicaux peuvent « représenter » une partie devant toutes les cours d’appel, s’ils l’assistaient ou la représentaient en première instance, tandis que les avocats, ne pourront, en pratique, le faire que devant la cour dans le ressort de laquelle se trouve leur cabinet, puisque, selon la dépêche du 27 juillet 2016, « Les règles relatives à la communication électronique s’appliquent aux avocats intervenant devant les cours d’appel en matière prud’homale », ce qui les obligent à transmettre « par cette voie, les actes de procédure à la juridiction ».
18. La Chancellerie suggère que l’avocat pourrait, dans le cas où il interviendrait en dehors du ressort de sa cour, invoquer l’article 930-1, alinéa 2, du code de procédure civile qui dispose que « Lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe » ; mais sommes-nous certains de triompher sur ce terrain de la « cause étrangère à celui qui l’accomplit » alors que, dans toutes les autres matières dans lesquelles il nous est interdit de postuler, nous choisissons un correspondant local pour assumer cette fonction ?
19. La situation est délicate et les enjeux importants en termes de responsabilité civile professionnelle de l’avocat puisqu’en l’état du code de procédure civile, tous les actes régularisés par un avocat auprès d’une cour dans le ressort de laquelle il n’est pas établi, sont nuls et de nul effet pour défaut de capacité à représenter la partie.
20. De plus, l’exception prospère sans que celui qui s’en prévaut n’ait à justifier d’un grief (C. pr. civ., art. 114, 4°) : on imagine assez bien le désarroi du client, lorsqu’il se verra notifier la nullité de la déclaration d’appel ou des conclusions d’intimé contenant appel incident régularisées par son avocat, nullité qui, sauf si le délai d’appel n’est pas expiré ou si la notification du jugement est erronée, ne pourra plus être couverte…
21. Il est donc urgent que la Chancellerie modifie les règles du code de procédure civile pour que soit d’une part codifiée la définition jurisprudentielle de la postulation et que d’autre part soient fixées clairement les dérogations qui y sont apportées en matière prud’homale.
22. La suppression de l’obligation de communiquer par le RPVA, dès lors que toutes les parties ne sont pas représentées par des avocats inscrits dans le ressort de la cour saisie du litige, paraît enfin être une mesure de bon sens, simple à mettre en œuvre.
23. En attendant, il y a là, potentiellement, un piège auquel les confrères les plus avisés pourront échapper en recourant aux services d’un correspondant dument inscrit auprès d’un barreau du ressort de la cour devant laquelle ils lui demanderont de représenter leur client, à la seule fin de pouvoir communiquer leurs actes de procédure.
Second piège : la suppression du principe de l’unicité de l’instance
24. Le décret du 20 mai 2016, applicable depuis le 1er août dernier, a mis fin au principe, si cher aux prud’homalistes, de l’unicité de l’instance qui voulait que toutes les demandes découlant du même contrat de travail devaient être évoquées au cours de la même instance, à moins qu’elles ne soient apparues que postérieurement à celle-ci ; désormais, « Toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu’elles émanent du demandeur ou de défendeur, l’objet d’une seule instance » (C. trav., art. R. 1452-6).
25. Jusqu’à présent, par application du principe de l’unicité de l’instance, toutes les demandes nouvelles étaient recevables au cours de l’instance et à tout moment de celle-ci, y compris en cause d’appel ; en contrepartie, toutes les demandes découlant de l’exécution ou de la rupture du même contrat de travail ne devaient faire l’objet que d’une seule instance.
26. À première vue, cette évolution pourrait paraître être une bonne nouvelle puisque, désormais, la partie négligente, l’avocat étourdi, pourront engager plusieurs instances successives, ce qui n’était pas possible auparavant.
27. C’est aussi une bonne nouvelle pour l’avocat d’employeurs qui, bien souvent, se voyaient privés d’un degré de juridiction en cas d’évolution des demandes en cours d’instance.
28. Mais c’est aussi une mauvaise nouvelle car, désormais, les demandes nouvelles en cause d’appel seront d’office irrecevables, par application de l’article 564 du code de procédure civile, sauf si elles sont formulées « pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ».
29. La question que vont devoir se poser les avocats est donc de savoir ce qu’il faut entendre par « révélation d’un fait » : le licenciement du salarié, demandeur à l’instance, pendant le cours de la procédure d’appel constitue-t-il la survenance d’un fait ? A priori, oui. Mais la révélation par un témoin entendu en première instance devant le conseil des prud’hommes ou celles faites par un lanceur d’alertes constitueront-elles la révélation d’un fait qui autorisera l’évolution du litige devant la cour ?
30. Enfin et surtout, et c’est la raison pour laquelle un piège paraît bien tendu sous les pas de l’avocat, le principe de concentration des moyens, en vigueur depuis l’arrêt Cesareo de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, D. 2006. 2135, et les obs. , note L. Weiller ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot ), « incombe au demandeur de présenter, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci ».
31. Cette règle, qui vaut pour toutes les parties, en demande ou en défense, maintenant bien connue des praticiens, va constituer pour l’avocat prud’homaliste une exigence nouvelle à laquelle il veillera à ne pas se dérober lorsqu’il représentera une partie devant la cour, car elle pourrait lui être fatale.
Article rédigé par Stéphane LATASTE et paru sur le site Dalloz.fr (Avocat / Procédure / Social / Contrat de travail / Contrôle et contentieux) – 1er décembre 2016