Les dépendances du domaine public sont sources d’insécurité juridique pour les occupants en raison de leur caractère précaire, ce qui ne favorise pas leur valorisation pour les collectivités. La loi Pinel aide les collectivités à mieux valoriser leur domaine en autorisant désormais la création de fonds de commerce sur le domaine public. Néanmoins, certaines questions restent encore en suspens.
« UN FONDS DE COMMERCE PEUT ÊTRE EXPLOITÉ SUR LE DOMAINE PUBLIC SOUS RÉSERVE DE L’EXISTENCE D’UNE CLIENTÈLE PROPRE »
La loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite « Loi Pinel », a créé, par ses articles 71 et 72, la possibilité d’exploiter un fonds de commerce sur le domaine public, et ceci, depuis son entrée en vigueur, le 20 juin 2014. Toutefois, afin de comprendre la portée de cette loi, il est nécessaire de présenter le cadre juridique applicable avant son entrée en vigueur, les nouveautés qu’elle a apportées ainsi que les questions qui subsistent.
La situation avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel
Le principe était simple : l’exploitation d’un fonds de commerce était formellement interdite sur le domaine public. Cette interdiction se justifie par l’antagonisme existant entre le régime du domaine public et celui du fonds de commerce. En effet, le domaine public est inaliénable. Pour ce motif, les autorisations d’occupation privative sont délivrées à titre précaire. Elles sont donc révocables à tout moment, incessibles et personnelles. Au contraire, le fonds de commerce est cessible et appartient à l’occupant. Dès lors, l’exploitation d’un fonds de commerce sur le domaine public en contravention de cette interdiction pouvait avoir plusieurs conséquences.
Tout d’abord, la convention d’occupation pouvait être résiliée pour un motif d’intérêt général sans aucune indemnisation de l’occupant pour la perte de son fonds de commerce.Il pouvait seulement prétendre à l’indemnisation de la perte de bénéfices. Ensuite, en cas de cession du fonds de commerce, l’autorisation d’occupation du domaine public ne pouvait pas être transférée sans l’autorisation préalable de la collectivité propriétaire qui pouvait toujours la refuser. Dans ce cas, il était nécessaire de demander une nouvelle autorisation sans aucune assurance pour l’obtenir, l’administration détenant une liberté de choix. Par conséquent, l’exploitation d’un fonds de commerce sur le domaine public n’était pas reconnue avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel, ce qui limitait les moyens des collectivités publiques pour valoriser leur domaine public.
Les nouveautés apportées par la loi Pinel
L’article L.2124-32-1 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose désormais qu’un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre.
Il n’est pas fait référence au domaine public naturel. Dès lors, les concessions de plages, montagnes et domaines fluviaux sont exclues du champ d’application de cet article.
Cette disposition met un terme à la jurisprudence du Conseil d’État qui considérait que l’autorisation d’occupation du domaine public ne pouvait donner lieu à la constitution d’un fonds de commerce dont l’occupant serait propriétaire en l’absence de disposition législative contraire.
Une autorisation d’occupation du domaine public peut désormais être délivrée si le fonds de commerce est compatible avec l’affectation du domaine public.
L’existence d’un fonds de commerce devra être précisée dans l’autorisation temporaire d’occupation pour garantir les droits du titulaire en cas de cession du fonds de commerce mais également de résiliation anticipée.
Au surplus, les éléments constitutifs du fonds de commerce, comprenant sa clientèle propre, à l’origine de sa valorisation devront être identifiés précisément. Néanmoins, la difficulté inhérente à l’exploitation d’un fonds de commerce sur le domaine public est l’existence d’une clientèle propre qui est intrinsèquement étrangère aux usagers du domaine public.
À ce titre, il existe une incertitude sur la position qu’adoptera le Conseil d’État.
En effet, le juge judiciaire exige pour caractériser l’existence d’un fonds de commerce que l’occupant dispose d’une clientèle propre, autonome et indépendante.
Toutefois, cette approche semble difficilement conciliable avec les particularités du domaine public.
En effet, les clients des fonds de commerce tels que ceux des restaurants dans les aéroports, par exemple, sont avant tout des usagers du domaine public qui ne viennent pas en raison de la réputation du restaurant. Dès lors, la preuve d’une clientèle propre et d’une autonomie de gestion de l’occupant semble difficile à apporter.
Enfin, en cas de résiliation avant son terme de l’autorisation d’occupation temporaire pour motif d’intérêt général, l’occupant recevra une indemnité correspondant à la perte des éléments du fonds de commerce si la preuve de l’existence d’une clientèle propre est apportée.
Même si désormais, un fonds de commerce peut être légalement exploité sur le domaine public des précisions restent encore à être apportées sur ce régime.
Les questions irrésolues
Tout d’abord, concernant la cession du fonds de commerce, l’autorisation d’occupation devrait être transmise en même temps que les éléments constituant le fonds de commerce.
Néanmoins, l’article L. 2124-33 du Code général de la propriété des personnes publiques ne semble pas adopter cette solution.
En effet, une autorisation de transfert du titre d’occupation devra être sollicitée auprès de l’autorité compétente. L’obtention de cette autorisation constituera vraisemblablement une condition suspensive à la cession du fonds.
Ce fonctionnement est conforme au principe d’incessibilité du domaine. Toutefois, les conditions pour justifier un refus du transfert de l’autorisation ne sont pas précisément identifiées dans les textes et laissent donc subsister une certaine incertitude sur le traitement de cette situation.
Une autre interrogation existe concernant la valorisation du fonds de commerce sur le domaine public. En effet, aucune réponse n’est apportée tant par les textes que par le juge administratif pour évaluer la valorisation du fonds.
Cependant, le caractère précaire de l’autorisation d’occupation est à l’origine de l’absence de droit au bail et de maintien dans les lieux à l’échéance de l’autorisation. Dès lors, la valeur du fonds de commerce peut vraisemblablement subir une dépréciation progressive à mesure que le terme du titre d’occupation approche. Cette situation est donc préjudiciable aux intérêts de l’occupant et devra être prise en compte dans sa valorisation
En conclusion, la consécration de l’exploitation du fonds de commerce sur le domaine public est une avancée importante tant pour les collectivités publiques, que pour les commerçants, sans pour autant remettre en cause le principe d’inaliénabilité du domaine public, contrairement au droit au bail qui reste toujours
Article rédigé par Muriel FAYAT et paru dans le magazine Décideurs – Paroles d’Experts, mai 2016