L’expertise d’objets d’art peut aussi être un sport de combat.
À l’ouverture d’une succession, le notaire en charge de son règlement fait appel à un commissaire-priseur judiciaire pour réaliser la prisée des meubles de l’actif successoral, comprenant, notamment, deux lavis sur papier attribués à Pablo Picasso ;
suivant acte de partage du 8 octobre 2007, lesdites œuvres, évaluées à la somme de 250 000 € chacune, ont été attribuées à l’épouse du défunt ;
en 2011, celle-ci s’est adressée à la société Artcurial qui a estimé leur valeur entre 500 000 et 700 000 € chacune mais des doutes ayant été ultérieurement émis sur leur authenticité, il a été sollicité en référé la désignation d’un expert, qui a conclu que les lavis litigieux étaient des faux …
La veuve a donc assigné en responsabilité le commissaire-priseur judiciaire et la société Artcurial, lesquels ont appelé en garantie les autres héritiers, sur le fondement de l’enrichissement sans cause.
Or, le commissaire-priseur judiciaire a vu la cour d’appel rejeter son appel en garantie après avoir relevé une faute imputable à ce professionnel, alors, selon lui, qu’il s’agissait d’une simple « négligence » et il soutenait « que le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui » ;
le commissaire-priseur judiciaire ajoutait « que celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement » et qu’au pire, l’indemnisation pouvait être modérée par le juge si l’appauvrissement procédait d’une faute de l’appauvri ».
Or, la cour d’appel, l’avait privé de toute indemnisation au titre de l’enrichissement injuste dont avaient bénéficié les autres héritiers « pour la raison que sa faute était seule à l’origine de l’appauvrissement invoqué ».
Le commissaire-priseur judiciaire décida de rester dans l’arène judiciaire en saisissant la cour de cassation.
Mal lui en a pris ; qu’on en juge :
Si la haute cour par son arrêt du 5 avril 2018 (https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_2986/premiere_chambre_civile_3169/2018_8490/avril_8756/373_5_39303.html) a commencé par lui donner raison en jugeant que « le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui »
elle n’en a pas moins considéré que « l’action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l’appauvrissement est dû à la faute lourde ou intentionnelle de l’appauvri » ;
Or, toujours pour la haute juridiction, « la cour d’appel a relevé, d’une part, que pour procéder à l’estimation des œuvres litigieuses, le commissaire-priseur judiciaire s’était borné à effectuer un examen visuel superficiel et rapide, sur la foi d’un certificat établi en 1992, soit quinze ans auparavant, dans des conditions qu’il ignorait complètement »
et, d’autre part, « que les enjeux financiers et fiscaux de la succession en cause requéraient de ce professionnel de l’art une attention particulière justifiant qu’il procède à des investigations complémentaires » …
(Il est sûr que s’il s’agissait de lavis de Pablo Picasso comme ceux de la série « toros », un examen attentif s’imposait …)
Toujours est-il qu’après avoir posé ces banderilles, la cour de cassation porte l’estocade en approuvant la Cour d’appel qui, « ayant ainsi fait ressortir que le commissaire-priseur judiciaire avait commis une faute lourde (…) en a exactement déduit que ce manquement à ses obligations professionnelles le privait de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause » et rejeter le pourvoi.
Moralité, une confiance excessive peut devenir une négligence fatale en matière d’expertise d’objets d’art, négligence qui peut susciter la bronca voire, pire une comada fatale pour le professionnel maladroit.