RESPONSABILITE
- Possibilité pour un tiers à un contrat d’invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement contractuel lui a causé un dommage (Ass. Plén. 13 janv. 2020, n° 17-19.963, Publié au bulletin)
Les sociétés Bois Rouge et Sucrière, spécialisées dans la fabrication et la commercialisation de sucre de canne ont conclu un protocole destiné à concentrer le traitement industriel de leur production cannière sur deux usines, celle du Bois Rouge appartenant à la société Bois Rouge et celle du Gol, appartenant à la société Sucrière. En application de ce protocole, chaque usine brassait les cannes des bassins canniers appartenant aux deux sociétés.
En complément du protocole, les deux sociétés avaient conclu une convention de travail à façon et une convention d’assistance mutuelle.
Pendant la nuit du 30 au 31 août 2009, un incendie s’est déclaré chez le fournisseur électrique de l’usine du Bois Rouge. L’approvisionnement en électricité n’étant plus assuré dans l’usine du Bois Rouge, celle-ci a été fermée pendant quatre semaines. Pendant cette période, l’usine du Gol a dû assurer une partie du traitement de la canne qui aurait dû être traitée par l’usine Bois Rouge.
Cette assistance a entrainé une perte d’exploitation pour la société Sucrière qui a été indemnisée par son assureur. Subrogé dans les droits de son assuré, l’assureur de la société Sucrière a assigné le fournisseur d’électricité de la société Bois Rouge en responsabilité.
La Cour d’appel n’a pas fait droit à sa demande en considérant que la faute, la négligence ou l’imprudence du fournisseur d’électricité n’était pas établie.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel et a rappelé un principe d’ores et déjà consacré par l’arrêt Boot shop du 6 octobre 2006 (n° 05-13255) : le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors qu’il lui a causé un dommage.
Dans cet arrêt, le fournisseur d’énergie était tenu à une obligation de résultat. Ainsi, la simple constatation d’une absence de fourniture d’électricité dans l’usine du Bois Rouge a suffi à engager sa responsabilité extracontractuelle vis-à-vis de la société Sucrière, tiers au contrat, dès lors qu’elle avait subi un dommage du fait de cette inexécution.
- En matière de responsabilité contractuelle, le dommage n’est indemnisable que s’il est prévisible lors de la conclusion du contrat et a constitué une suite immédiate et directe de l’inexécution de ce contrat (Com., 11 mars 2020, n° 18-22472, Publié au bulletin)
Le propriétaire d’un navire avait confié à une société la refonte complète de la salle des machines de son navire, ce qui incluait la fourniture et l’installation de deux groupes électrogènes.
Ces groupes électrogènes avaient fait l’objet de ventes successives intervenues d’abord entre le fabricant et une société de droit italien et ensuite entre plusieurs sociétés françaises, jusqu’à son acquisition par la société chargée de procéder à la refonte du navire qui les a installés.
Des désordres étant intervenus sur les groupes électrogènes, la société chargée de la refonte du navire a assigné son vendeur pour obtenir indemnisation de son préjudice lié à ses interventions sur les groupes électrogènes pour remédier aux désordres.
Le propriétaire du navire a quant à lui assigné la société chargée de la refonte du navire pour obtenir indemnisation de son préjudice lié à l’immobilisation de son navire. La société chargée de la refonte a donc appelé en garantie le fabricant ainsi que toutes les sociétés ayant successivement vendu les groupes électrogènes. Les procédures ont été jointes.
La Cour d’appel a condamné la société chargée de la refonte du navire à indemniser le propriétaire du navire. Mais surtout, elle a condamné la société de droit italien, premier vendeur, à indemniser la société chargée de la refonte du navire et à la garantir des condamnations prononcées contre elle considérant qu’elle avait failli à son obligation contractuelle en fournissant un matériel impropre à son utilisation. La Cour d’appel a refusé de limiter les préjudices à ceux qui étaient prévus au contrat, considérant qu’en droit français, « tout préjudice est réparable, pourvu qu’il soit direct et certain ».
Au visa de l’ancien article 1150 du Code civil, la Cour de cassation a donc cassé l’arrêt d’appel en rappelant que le dommage n’est indemnisable que s’il est prévisible lors de la conclusion du contrat et qu’il a constitué une suite immédiate et directe de l’inexécution de ce contrat.
- L’acquéreur qui a choisi de conserver son immeuble atteint d’un vice caché sans obtenir une restitution de tout ou partie du prix de vente est fondé à obtenir la réparation intégrale du coût des travaux de démolition et de reconstruction auprès du vendeur de mauvaise foi (Civ. 3ème, 30 janv. 2020, n° 19-10.176, Publié au bulletin)
A la suite de l’apparition de désordres dans leur maison d’habitation, les acquéreurs ont assigné le vendeur en garantie des vices cachés et le notaire en responsabilité délictuelle, lesquels ont appelé l’agent immobilier en garantie sur le même fondement.
La Cour d’appel a condamné le vendeur à restituer aux acquéreurs une partie du prix de vente et à leur payer le coût des travaux de démolition et de reconstruction de l’immeuble. Elle a également fixé à 10 % chacun la part de cette condamnation que le notaire et l’agent immobilier devaient supporter au titre de leur responsabilité contractuelle.
La Cour de cassation a cassé cet arrêt d’appel en considérant d’une part que l’arrêt d’appel avait violé le principe de la réparation intégrale du préjudice en condamnant le vendeur à rendre le prix de la vente et à payer le prix des travaux et d’autre part que le notaire et l’agent immobilier ne pouvaient être condamnés à verser 10 % des sommes mises à la charge du vendeur en application de l’article 1644 du Code civil.
La Cour d’appel de renvoi a donc de nouveau condamné le vendeur mais uniquement au paiement du prix des travaux de destruction et de reconstruction ainsi que le notaire et l’agent immobilier à supporter 10 % de la charge finale.
Cette fois-ci la Cour de cassation a approuvé l’arrêt d’appel et a rejeté le pourvoi aux motifs que lorsque l’immeuble vendu est atteint de vices cachés nécessitant sa démolition, l’acquéreur qui a choisi de le conserver sans restitution de tout ou partie du prix de vente est fondé à obtenir, du vendeur de mauvaise foi, des dommages et intérêts équivalant au coût de sa démolition et de sa reconstruction.
- Non application de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1085 pour un accident survenu sur une portion de voie réservée exclusivement à la circulation des tramways (Civ. 2ème, 5 mars 2020, n° 19-11411, Publié au bulletin)
Dans cet arrêt, la Cour de cassation est venue confirmer qu’un accident survenant entre un piéton et un tramway sur une voie exclusivement réservée à la circulation des tramways ne relevait pas de l’indemnisation de la loi Badinter du 5 juillet 1985.
- Le défaut résultant d’un procédé spécifique de fabrication connu de la profession de l’acheteur n’en demeure pas moins un vice caché (Civ. 3ème, 16 janv. 2020, n° 18-24.948, non publié au bulletin)
La société EDF a entrepris des travaux d’aménagement dans un groupe d’immeubles en confiant momentanément les travaux à des entreprises spécialisées. Elle a notamment confié l’installation de cloisons amovibles à une entreprise qui a pour cela fait l’acquisition de matériel de vitrage. Or, après la réception des travaux, certains bris spontanés sont apparus sur les vitrages de plusieurs cloisons.
La société EDF a alors assigné le vendeur de matériel de vitrage en garantie des vices cachés.
La Cour d’appel a rejeté sa demande en refusant de caractériser l’existence d’un vice caché aux motifs que le verre utilisé présente un risque de cassure spontanée du fait sa méthode de conception et qu’en tant que professionnel, l’acquéreur connaissait le risque de cassure spontanée inhérent à ce produit, d’autant que la proportion des cassures était en l’espèce inférieure au ratio communément admis.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel. En effet, dans la mesure où les verres vendus étaient affectés d’une défectuosité intrinsèque qui, entraînant leur casse spontanée, les rendait impropres à l’usage auxquels ils étaient destinés, un vice caché était caractérisé.
- La responsabilité du syndic ne peut être engagée que sur le fondement d’une faute dans l’exercice de son mandat (Civ. 3ème, 6 fév. 2020, n° 18-22788, non publié au bulletin)
A la suite d’un incendie survenu dans un immeuble en copropriété ayant endommagé les parties communes, le syndicat des copropriétaires a procédé à la réalisation de travaux de réparation.
L’un des copropriétaires insatisfait des travaux réalisés a assigné le syndicat des copropriétaires, son assureur et le syndic en paiement de dommages et intérêts liés à l’insuffisance des travaux réalisés.
De son côté, le syndicat des copropriétaires a appelé en garantie son syndic.
La Cour d’appel a rejeté cet appel en garantie.
La Cour de cassation a approuvé l’arrêt d’appel aux motifs que la responsabilité du syndic ne pouvait être engagée à l’égard du syndicat des copropriétaires que sur le fondement d’une faute dans l’exercice de son mandat.
Or en l’espèce, le fait que le syndic ait géré le dossier du sinistre n’emportait aucune présomption de responsabilité d’autant qu’il avait fait appel à un architecte qui avait conçu et suivi les travaux et qui avait certifié qu’ils avaient été exécutés conformément aux directives du maître d’œuvre, de l’ingénieur béton et du bureau de contrôle, ce dont il résultait que le contrôle technique des travaux ne relevait pas du syndic.
- L’action en garantie des vices cachés est enfermée dans un délai de cinq ans à compter de la vente initiale (Civ. 1ère, 22 janv. 2020, n° 18-23.778, non publié au bulletin)
Un véhicule de la marque Peugeot mis en circulation le 28 mai 2010 par son fournisseur avait été vendu d’occasion le 7 mars 2014 par une société automobile. A la suite d’une panne, l’acquéreur du véhicule avait agi contre la société automobile en garantie des vices cachés.
La société automobile avait alors appelé en garantie le fabricant.
La Cour d’appel a fait droit à sa demande, jugeant que les demandes formées par le vendeur intermédiaire relevaient de l’action récursoire contre le précédent vendeur ou fournisseur et que par conséquent, le point de départ du délai de cette action était constitué par la date de l’assignation qui lui avait été délivrée au fond.
La Cour de cassation a cassé cet arrêt estimant que le point de départ du délai de la prescription extinctive prévue à l’article L. 110-4 du Code de commerce courait à compter de la vente initiale intervenue le 28 mai 2010 de sorte que l’action récursoire du vendeur intermédiaire contre le fabricant formée le 26 mai 2016 était irrecevable.
Ainsi, dans le cadre des ventes successives, l’action en garantie des vices cachés est prescrite pour tout vendeur intermédiaire qui souhaiterait se retourner contre son propre vendeur (vendeur intermédiaire ou fabricant) lorsqu’il a acquis le bien depuis plus de cinq ans et ce, quand bien même le vice aurait été découvert depuis moins de deux ans.
Cette solution appelle à une vigilance particulière dans le calcul des délais de prescriptions, surtout dans les chaines de contrat, notamment dans les dossiers comportant des appels en cause successifs.
CONTRAT
- Non application à l’assuré de la clause attribution de juridiction souscrite entre le preneur d’assurance et l’assureur dans les contrats « grands risques » (CJUE, 27 fév. 2020, C-803/18)
Un contrat d’assurance « grands risques » souscrit par un preneur d’assurance et l’assureur contenait une clause attributive de juridiction stipulant que seules étaient compétentes les juridictions du domicile de la compagnie d’assurance.
L’assuré n’était donc pas partie à ce contrat.
La Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser qu’en application du Règlement Bruxelles I bis, une telle clause ne pouvait être opposée à l’assuré, non partie au contrat dès lors que :
- Il n’est pas un professionnel du secteur des assurances ;
- Il n’a pas consenti en cette clause ;
- Il est domicilié dans un autre Etat membre que celui du domicile du preneur d’assurance et de l’assureur.
ANALYSE THEMATIQUE : LA PRESCRIPTION DES ACTIONS EN RESPONSABILITE CONTRACTUELLE
- Civ. 3ème, 19 mars 2020, n° 19-13.459, Publié au bulletin
Une société a confié à une autre société, en qualité de maître d’ouvrage, la réalisation de travaux de voirie et réseaux divers sur la propriété de deux époux.
Se plaignant de retards et de désordres dans la réalisation des travaux, les époux ont assigné leur maître d’ouvrage et l’autre société en référé aux fins d’obtention de désignation d’un expert judiciaire.
Finalement, les époux ont transigé avec leur maître d’ouvrage qui a ensuite assigné le constructeur des voiries et réseaux divers.
La Cour d’appel a fait droit à la demande du maître d’ouvrage et a condamné le constructeur à indemniser le maître d’ouvrage, considérant que l’action engagée par le maître d’ouvrage sur le fondement contractuel se prescrit par cinq ans et que l’assignation en référé des époux avait interrompu le délai de prescription et que ce délai s’était trouvé suspendu durant les opérations de consultation jusqu’au dépôt du rapport.
Cependant, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel.
Après avoir rappelé que seule une initiative du créancier de l’obligation peut interrompre la prescription et que lui seul peut revendiquer l’effet interruptif de son action et en tirer profit, la Cour de cassation a indiqué que de la même manière, lorsque le juge accueille une demande de mesure d’instruction avait tout procès, la suspension de la prescription qui fait suite à l’interruption de celle-ci au profit de la partie ayant sollicité la mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d’exécution de la mesure et ne joue qu’à son profit.
Ainsi, selon la Cour de cassation, l’interruption, puis la suspension de la prescription quinquennale de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres révélés en l’absence de réception de l’ouvrage n’avait pas profité au maître d’œuvre, l’instance en référé ayant été introduite par les époux.
Bien qu’elle ne soit pas tout à fait nouvelle, cette décision rappelle la vigilance dont il convient de faire preuve sur la question de la prescription en cas de pluralité de parties intéressées à un litige.
Il s’agit en effet d’un sujet complexe et sensible, nécessitant la plus grande attention des plaideurs.
Tel était notamment le cas dans cette affaire où la société A avait transigé seule avec le demandeur à l’action initiale en référé expertise, la société B demeurant tierce à cet accord.
En l’absence de réception de l’ouvrage, la société A ne pouvait pas bénéficier de la prescription décennale ressortant de l’article 1792-3-4 du Code civil.
Eu égard aux délais relativement longs qui s’étaient écoulés depuis l’assignation initiale en référé expertise (mais néanmoins courants dans ce type de dossiers), la société A, après avoir indemnisé le demandeur principal, n’était plus recevable à agir contre la société B, l’interruption de la prescription quinquennale attachée l’assignation initiale n’ayant joué qu’en faveur du seul demandeur principal.
Au plan strictement procédural, pour éviter cette irrecevabilité, la société A aurait eu intérêt à ne pas transiger et à laisser au contraire le soin aux demandeurs de l’actionner au fond, pour appeler la société B en garantie.
On sait en effet que, sauf cas particuliers (comme par exemple en matière de vices cachés), le point de départ de l’action en garantie d’un défendeur contre un tiers court à compter du jour où ce défendeur est lui-même assigné au fond.
L’on mesure avec cette décision la contradiction qui peut exister entre la rigidité des règles de procédure civile et les impératifs de la vie économique.
Il n’est pas exclu en effet que la société A ait eu en pratique un intérêt objectivement réel à transiger avec les demandeurs principaux, sur la base de concessions, notamment financières.
Pourtant, le fait d’avoir transigé lui a fermé procéduralement un recours.
Plus généralement, cet arrêt nous donne l’occasion de rappeler qu’il convient d’être également très vigilant lorsqu’une partie est défenderesse à une action en référé expertise.
N’ayant pas pris l’initiative de l’action, elle n’a pas interrompu la prescription en sa faveur sur les demandes qu’elle pourrait vouloir formuler, et ne bénéficie pas non plus de la suspension la prescription tirée de l’article 2239 du Code civil, de sorte qu’elle s’expose au risque de se voir opposer l’irrecevabilité de ses demandes reconventionnelles dans le cadre d’une action au fond ultérieure.
Tel est par exemple le cas pour une demande de paiement de factures en souffrance formulée par un défendeur contre une partie appelée en garantie (Cass. Civ. 2ème, 31 janvier 2019, n°18-10011).
Dans le même sens, on citera un arrêt récent largement publié (Cass. Civ. 3e, 17 oct. 2019, FS-P+B+I, n° 18-19.611), dans lequel un défendeur à une expertise judiciaire avait ultérieurement formulé une demande de nullité du contrat le liant au demandeur, dans le cadre de l’action au fond engagé par celui-ci en ouverture de rapport.
La Cour d’appel avait admis la recevabilité de cette demande, dont elle avait fait bénéficier de la suspension du délai de prescription prévue par l’article 2239 du Code civil, en considérant que l’expertise sollicitée en référé avait été utile à l’appréciation de la demande en nullité du contrat, les conséquences de ladite nullité étant appréciées au regard de la gravité des désordres et non-conformités affectant la construction.
Cette appréciation a été censurée par la Haute Juridiction, en considérant que la demande d’expertise relative aux désordres ne tendait pas au même but que la demande d’annulation du contrat, de sorte que celle-ci ne pouvait pas bénéficier de la suspension de la prescription attachée à la mesure d’instruction.
L’on constate de nouveau, avec cette décision, les risques importants inhérents à ces règles de prescription.
Il pouvait sembler délicat pour le défendeur de demander la nullité du contrat le liant au demandeur dès le référé expertise, ou par le biais d’une action au fond indépendante, alors que l’expertise allait sans doute lui permettre de collecter des éléments factuels en lien avec cette demande, comme l’a retenu au demeurant la Cour d’appel.
Pourtant, le couperet de la prescription est tombé, la Cour de Cassation considérant que si la demande ne tend pas au même but que la demande d’expertise, elle ne bénéficie pas de la suspension de la prescription.