les voies offertes pour contester l’attribution d’un marché sont étroites pour le sous-traitant embarqué dans l’offre d’une entreprise candidate.
La candidature d’une entreprise en réponse à une consultation peut contenir l’offre d’un sous-traitant pour l’exécution d’une partie du contrat public. Pour le sous-traitant, être inclus dans une telle offre peut représenter un avantage économique important. Il a alors un intérêt évident à la conclusion du contrat.
L’entreprise principale n’est pas toujours encline, en cas de rejet de son offre, à s’engager dans un contentieux contre l’entité adjudicatrice ou le pouvoir adjudicateur, pour des raisons stratégiques ou commerciales ou parce que l’intérêt économique ne le justifie pas. Elle peut craindre d’hypothéquer ses chances ultérieures d’obtenir un marché.
Justifier d’un intérêt à agir. Le sous-traitant mentionné dans l’offre peut néanmoins, dans cette hypothèse et sous certaines conditions, faire valoir ses droits pour que le marché soit annulé ou pour être indemnisé du préjudice qu’il subit du fait du rejet irrégulier de l’offre de l’entreprise principale à laquelle il a participé.
Seul, le sous-traitant peut donc faire sanctionner le rejet irrégulier de l’offre, dès lors qu’il justifie d’un intérêt à agir et parvient à démontrer la méconnaissance par le pouvoir adjudicateur des règles de la commande publique.
La préparation du contentieux
Le sous-traitant n’est pas toujours en possession des pièces relatives au marché. Il doit les obtenir avant d’engager un contentieux. Il demandera pour cela au pouvoir adjudicateur ou à l’entité adjudicatrice la communication du rapport d’analyse des offres, de l’acte d’engagement et du prix global du marché sur le fondement de l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CE, 30 mars 2016, n° 375529).
En cas de refus de les communiquer (ou de silence du pouvoir adjudicateur à l’issue d’un délai d’un mois), la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) peut être saisie par lettre recommandée avec accusé de réception. Le sous-traitant doit y démontrer que les documents ont déjà été sollicités auprès de la personne publique qui a, implicitement ou explicitement, refusé de les transmettre. La commission est ensuite tenue de statuer dans un délai de deux mois sur la communicabilité des pièces et enjoint, le cas échéant, à la personne publique de les transmettre.
L’action en référé
L’action du sous-traitant contestant la passation du contrat en référé est particulièrement encadrée. En effet, malgré une jurisprudence isolée (TA Paris, 8 novembre 2006, « Société Forsup Conseil », n° 0615298), le sous-traitant n’est admis à agir ni en référé précontractuel – avant la signature du contrat –, ni en référé contractuel – après la signature (TA Marseille, 23 décembre 2008, n° 0808294 ; TA Cergy-Pontoise, 8 mars 2011, n° 1101159). Le juge estime que, si le sous-traitant a un intérêt à la conclusion du contrat, « il ne justifie pas directement d’un intérêt à conclure le contrat », au sens de l’article L. 551-1 du Code de justice administrative, car il n’est pas signataire du contrat. Cette interprétation est sévère, notamment au regard du droit européen qui considère que peut agir plus largement le tiers « ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir le marché » (CJUE, 11 janvier 2005, « Stadt Halle », C-26/03).
Référé suspension. Toutefois, le sous-traitant est reconnu comme ayant un intérêt à agir pour solliciter du juge la suspension du contrat en formant une requête en référé suspension. Le Conseil d’Etat a considéré que l’entreprise sous-traitante peut justifier être « lésée par la conclusion du contrat litigieux de manière suffisamment directe et certaine pour être recevable à en demander l’annulation ainsi que la suspension » (CE, 14 octobre 2015, « Région Réunion », n° 391183). Elle devra alors justifier de l’urgence à suspendre le contrat et faire valoir un doute sérieux quant à sa légalité (article L. 521-1 du Code de justice administrative).
L’action en annulation
Le sous-traitant, qui ne peut agir en référé précontractuel ou contractuel, pourra saisir le juge pour demander l’annulation du marché et obtenir l’indemnisation de son préjudice. Il peut en effet former, sous certaines conditions, un recours dit « Tarn-et-Garonne » (CE ass., 4 avril 2014, n° 358994), ouvert à tout « tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses ».
Offre indissociable. Récemment, le Conseil d’Etat a ainsi admis l’intérêt à agir du sous-traitant lorsqu’« il ressort des pièces du marché que l’offre d’un des groupements candidats reposait sur la technologie que fournit cette société » (CE, 14 octobre 2015, précité). Le rapporteur public Gilles Pellissier invitait dans ses conclusions à reconnaître l’intérêt à agir du sous-traitant lorsque son offre « apparaît aussi indissociable de l’offre que les autres membres du groupement ; elle en constitue un élément essentiel qui ne pourrait, par exemple, pas être modifié après le dépôt des offres ».
Autrement dit, cette procédure n’est pas ouverte à l’ensemble des candidats sous-traitants…
Le recours de plein contentieux doit être introduit dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité du marché. Il permet ainsi au sous-traitant d’obtenir soit l’annulation du contrat, soit l’indemnisation du préjudice subi.
La passation des marchés publics de droit privé
Certains marchés soumis à l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics sont des marchés publics de droit privé. C’est le cas des marchés passés par des sociétés d’économie mixte ou des sociétés publiques locales.
Il est fort probable que, dans le cadre d’un tel marché, le juge refuserait au sous-traitant le droit d’agir en référé précontractuel (article 1441-1 du Code de procédure civile), transposant la solution retenue pour les contrats de droit administratif. Pour le contester, le sous-traitant doit passer par la voie du recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables du contrat (par exemple, la décision de signer le contrat), dans la mesure où le recours « Tarn-et-Garonne » ne concerne que les contrats de droit administratif. En cas d’annulation des actes détachables, le juge de l’exécution recherche si l’annulation du marché s’impose (CE, 29 décembre 2014, n° 372477). Si l’annulation n’est pas rendue nécessaire – soit parce qu’une régularisation est possible, soit parce qu’« eu égard à la nature de [l’] illégalité et à l’atteinte que l’annulation ou la résolution du contrat est susceptible de porter à l’intérêt général » elle n’est pas opportune –, le sous-traitant peut saisir le juge du plein contentieux en vue d’obtenir l’indemnisation résultant du préjudice subi par l’illégalité fautive.
En somme, le sous-traitant pressenti, tiers original dans le contentieux de la commande publique, n’est pas dépourvu de droits d’agir. Ses droits sont néanmoins limités, puisqu’il n’a pas d’intérêt à agir en référé précontractuel ou contractuel. Or, à ce stade de la passation du marché, il est indispensable d’agir vite afin de conserver une possibilité de reprendre la procédure. La volonté des pouvoirs publics d’améliorer la situation des PME et TPE au sein de la commande publique pourrait impliquer de leur ouvrir l’accès aux référés précontractuels et contractuels dans les mêmes conditions que celles du recours « Tarn-et-Garonne ».
Ce qu’il faut retenir
- Les procédures de référés précontractuel et contractuel ne sont pas ouvertes aux sous-traitants pressentis quels qu’ils soient, à défaut d’intérêt à agir.
- La voie du recours de plein contentieux permettant d’obtenir l’annulation du marché public et/ou l’indemnisation du préjudice est possible pour les sous-traitants dont l’offre est indissociable de celle du candidat.
- Une requête en référé suspension permettant d’obtenir la suspension du marché peut également être formée par le sous-traitant à condition de justifier d’une urgence et d’un moyen sérieux sur la légalité du marché.
- S’agissant des marchés publics de droit privé, le sous-traitant peut seulement agir contre les actes détachables passés par un pouvoir adjudicateur personne morale de droit privé.
- Un recours à la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) est parfois nécessaire pour obtenir les documents indispensables à l’engagement d’une procédure.
Article rédigé par Muriel FAYAT et Arnaud VERMERSCH et paru sur le site Le Moniteur, n° 5899 – 7 décembre 2016