Confiée par l’Etat aux décideurs, publics comme privés, la mise en place des mesures de sécurité sanitaire destinées à éviter l’exposition et la contamination des collaborateurs des personnes publiques et privées au Covid-19 dans le cadre du déconfinement en vigueur depuis le 11 mai 2020 inquiète.
La contamination d’un collaborateur, voire la simple exposition d’un collaborateur au risque de contamination par le Covid-19 sont-elles susceptibles de fonder des poursuites pénales à l’encontre de l’employeur et/ou du responsable pénal au sein de la structure ?
Source de nombreuses préoccupations, la crise sanitaire que nous traversons impose la prudence et l’on ne peut que recommander aux décideurs de prendre le plus grand soin à mettre en place les mesures de sécurité sanitaire recommandées par l’Etat et imposées par la loi ou le règlement (I).
Il convient néanmoins de séparer le vrai du faux, afin de bien identifier les contours du risque pénal auquel sont exposés les décideurs, publics comme privés (II).
- Un climat préoccupant pour les décideurs publics et privés
Le 28 avril dernier, le Premier ministre a détaillé la stratégie nationale de déconfinement du Gouvernement dont la mise en œuvre repose notamment sur un cadre juridique actualisé issu de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions et du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Des outils ont été mis en place, afin d’accompagner les élus et dirigeants dans la mise en œuvre du déconfinement. Pour le secteur privé, le Ministère du travail a mis à disposition un protocole de déconfinement présentant de manière très générale les obligations essentielles des employeurs en matière de santé et de sécurité.
S’agissant des collectivités territoriales, le Centre Nationale de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT) a mis en place un dispositif spécifique pour accompagner les agents et les collectivités territoriales se résumant à un accès aux ressources relatives aux mesures concernant l’état d’urgence sanitaire notamment aux textes, lois, ordonnances et décrets en lien avec la crise du Covid-19.
Ces éléments, qu’il s’agisse du protocole ou des recommandations du CNFPT, n’ont aucune valeur légale ou réglementaire, ne constituant qu’un « accompagnement ». Aussi, la crainte des dirigeants et des élus locaux est compréhensible au regard des 200 plaintes qui auraient déjà été déposées dans les tribunaux visant les autorités administratives pour le délit d’abstention de combattre un sinistre, des employeurs publics ou privés pour des manquements relatifs au droit du travail, des EHPAD ou établissements de santé et enfin, les lieux de privation de liberté.
La question de l’engagement de leur responsabilité pénale peut ainsi légitimement se poser à plusieurs égards et pour plusieurs acteurs :
- Les acheteurs publics vis-à-vis de leurs co-contractants : le titulaire d’un marché public devant exécuter ses obligations à compter du déconfinement afin de ne risquer aucune pénalité contractuelle ne peut-il pas engager la responsabilité pénale de la personne publique dans l’hypothèse où il jugerait les mesures de protections insuffisantes ou si l’un de ses employés était contaminé ?
- Les élus locauxdevant mettre en place des mesures de protection sanitaires afin de permettre aux agents territoriaux de reprendre leur activité ne pourraient-ils pas voir leur responsabilité pénale engagée dans la même hypothèse que celle évoquée précédemment ? De même s’agissant des prérogatives des élus locaux au regard des moyens attribués au service public et notamment aux écoles afin de permettre l’accès au matériel sanitaire nécessaire pour permettre leur réouverture : ne pourraient-ils pas voir leur responsabilité pénale engagée par les agents ou les parents d’élève ?
- Les agents publics en contact direct avec le public et assurant la mise en œuvre des services publics locaux, notamment les directeurs d’écoles, ne pourraient-ils pas se voir inquiétés par les parents d’élève ?
- Les dirigeants d’entreprise, responsables de la protection sanitaire sur le lieu de travail, ne pourraient-ils pas être poursuivis pénalement en raison d’un encadrement sanitaire jugé insuffisant ou la contamination de certains employés ?
Face à ces problématiques il convient de déterminer quel est le risque réel encouru par les acteurs précités afin de l’anticiper et s’en prémunir.
- Un risque réel mais circonscrit et maîtrisable
Outre les infractions prévues par le code du travail, lequel sanctionne pénalement certaines obligations en matière de santé et de sécurité sur le lieu de travail, trois délits prévus par le code pénal sont évoqués pour alimenter la crainte des décideurs face au risque pénal lié à l’exposition ou à la contamination par le Covid-19.
Le premier délit est le délit de risque causé à autrui, défini dans les termes suivants : « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement » (article 223-1 du code pénal).
Ce délit sanctionne la simple exposition à un risque et alimente la crainte des décideurs d’être condamnés pénalement, en l’absence même de toute contamination par le Codiv-19.
Cette crainte doit être relativisée pour deux raisons au moins.
La première raison tient à la nécessité d’identifier une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. Ainsi qu’il a été précédemment exposé, le protocole de déconfinement établi par le Ministère du travail et les recommandations du CNFPT n’ont pas de valeur légale ou règlementaire. Elles ne sont que des recommandations, dont la violation n’est pas susceptible de caractériser le délit de risque causé à autrui. La violation d’une obligation générale de sécurité ou de prudence n’est pas plus susceptible de justifier des poursuites sur le fondement des dispositions de l’article 223-1 du code pénal. Seule la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement expose au risque de condamnation pénale, en l’absence de contamination par le Covid-19. De telles obligations existent notamment dans le code du travail. Le risque pénal existe donc mais il est à relativiser pour cette raison déjà.
Le risque pénal est à relativiser pour une autre raison, qui tient à la faute requise pour caractériser le délit de risque causé à autrui. Seule la « violation manifestement délibérée » peut justifier une condamnation pénale. La simple faute d’imprudence exclut tout risque pénal de ce chef. S’il est capable de justifier de sa bonne foi dans la mise en œuvre du déconfinement, le décideur ne devrait pas pouvoir être condamné pénalement, du seul fait de l’exposition à un risque de contamination par le Covid-19.
Les deux autres délits évoqués pour alimenter la crainte des décideurs sont le délit d’homicide involontaire et celui de blessures involontaires. Ces délits concernent l’hypothèse d’une contamination par le Covid-19 sur le lieu de travail ayant provoqué la mort (homicide involontaire) ou de simples blessures (blessures involontaires).
Une première observation s’impose : il semble, en l’état, assez délicat de prouver que la contamination est effectivement survenue sur le lieu de travail. Le virus étant partout, l’on suppose que les parquetiers et les parties civiles auront le plus grand mal à établir, avec certitude, que le virus a été contracté sur le lieu de travail. L’administration de la preuve pénale obéissant à un régime de liberté, il n’est, malgré tout, pas impossible qu’un juge soit convaincu que le virus a bien été contracté sur le lieu de travail, au regard du faisceau d’indices réunis par les parties civiles et les membres du parquet pénal.
Outre la preuve que le virus a bien été contracté sur le lieu de travail, la responsabilité pénale des décideurs, personnes physiques, dont on suppose qu’ils ont simplement contribué à créer la situation ayant permis la contamination par le virus (hypothèse de causalité indirecte la plus probable), est subordonnée à la preuve soit d’une faute délibérée (la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité imposée par la loi ou le règlement), soit d’une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité (article 121-3 du code pénal).
La preuve d’une faute qualifiée est donc nécessaire pour engager la responsabilité pénale des décideurs, personnes physiques. La faute simple (violation d’une obligation de sécurité ou de prudence ou faute de négligence ou d’imprudence) suffit pour engager la responsabilité pénale des personnes morales, étant précisé que les collectivités territoriales et leur groupement ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public.
La faute s’apprécie de manière concrète, en fonction des circonstances de la cause. Afin de rassurer les élus locaux, le législateur a réaffirmé ce principe d’appréciation concrète des situations, tout en faisant échec à l’amendement proposé par le Sénat, qui tendait à l’exclusion de tout risque pénal. L’article L.3136-2 du code de la santé publique dispose dorénavant que « l’article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur. »
Si les décideurs, publics et privés, mettent tout en œuvre pour suivre les recommandations du Ministère du travail et du CNFPT et se conformer aux obligations édictées par le code du travail en matière de santé et de sécurité, le risque de les voir condamnés pénalement en cas de contamination par le Covid-19 sur le lieu de travail devrait pouvoir être maîtrisé.
A cet égard, au sein des moyennes et grandes structures, il peut être utile d’adapter les délégations de pouvoirs mises en place aux nécessités de la crise actuelle, voire de mettre en place de telles délégations, en s’assurant que le délégataire de pouvoirs bénéficie de l’autorité, des moyens et de la compétence nécessaires à l’exercice des pouvoirs qui lui sont confiés, afin de circonscrire au mieux le risque de contamination au sein de la structure et de rationaliser le risque pénal encouru.