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15 mai 2017 Actualités PUBLICATIONS

« Les conséquences de la réforme du droit des contrats sur l’intervention du juge »

La réforme du droit des contrats déplace l’intervention du juge vers un contrôle a posteriori et offre à cette fin aux parties de nouvelles prérogatives permettant, sans recourir préalablement au juge, de faire cesser des situations d’incertitude et de sanctionner la défaillance du cocontractant. Toutefois, le recours à de nombreux standards et la faculté pour le juge de réviser le contrat pour imprévision renforcent son rôle dans l’appréciation des obligations à la charge des parties et dans le contentieux du contenu du contrat.

 L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a, pour l’essentiel, consacré les solutions prétoriennes procédant à ce qui a pu être appelé une « codification à jurisprudence constante ».

 Ce texte a opéré peu de changements notables par rapport au droit positif : la loi évolue en intégrant des solutions jurisprudentielles admises de longue date, mais le droit, lui, ne change pas.

 La réforme du droit des contrats n’est cependant pas sans incidence sur l’intervention du juge et s’inscrit dans un contexte législatif particulier tendant à s’affranchir de ce dernier.

 Ainsi, le décret n°2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile a pour objectif de favoriser le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges en « obligeant les parties à indiquer, dans l’acte de saisine de la juridiction, les démarches de résolution amiable précédemment effectuées »[1].

 La loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques contient un volet consacré à la réforme de la justice prud’homale afin, notamment de favoriser le règlement amiable des litiges et d’éviter un recours au juge. A cette fin, elle élargit les pouvoirs du bureau de conciliation qui devient le « bureau de conciliation et d’orientation » qui a notamment pour mission de « concilier les parties », et autorise le recours à la médiation conventionnelle ainsi qu’à la procédure participative.

 Enfin, la loi de modernisation de la justice du 21ème siècle, dans le but d’instaurer une justice « plus efficace » et « plus accessible[2] » entend également limiter le rôle du juge en encourageant les modes alternatifs de résolution des litiges (la conciliation devient un préalable obligatoire pour les litiges d’un montant inférieur à 4.000 euros) et en faisant sortir de son giron certaines de ses prérogatives (la convention de divorce par consentement mutuel pourra être enregistrée chez un notaire tandis que le pacte civil de solidarité et le changement de prénom seront enregistrés en mairie).

 Le mode juridictionnel de la résolution des litiges tend à devenir un mode alternatif des litiges, voire une exception au profit de la résolution amiable.

 L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 s’inscrit pleinement dans cette volonté de réduire l’intervention du juge et, par voie de conséquence, de favoriser la résolution amiable des différends.

 Le rapport au Président de la République précise que « Dans une perspective d’efficacité économique du droit, l’ordonnance offre également aux contractants de nouvelles prérogatives leur permettant de prévenir le contentieux ou de le résoudre sans nécessairement recourir au juge […].[3] »

 L’intervention du juge est envisagée comme un risque économique et un frein à la croissance.

 L’ordonnance propose à cette fin de « nouveaux mécanismes[4] » permettant de limiter l’intervention du juge soit en prévenant le contentieux, soit en le confinant à un contrôle a posteriori (1).

 Toutefois, en faisant abondamment référence à de nombreux standards, la réforme du droit des contrats renforce le pouvoir d’appréciation du juge (2).

 Enfin, dans un souci tant de protection de la partie considérée comme la plus vulnérable que de lutte contre les déséquilibres contractuels majeurs survenant en cours d’exécution du contrat, la réforme du droit des contrats renforce le rôle du juge dans le contentieux du contenu du contrat (3).

1.      l’intervention du juge retardee

Les actions interrogatoires et les notifications unilatérales sont de nouveaux outils laissés à la disposition des parties afin d’éviter l’intervention du juge, ou à défaut, la retarder.

A.                Les actions interrogatoires

Antérieurement à la réforme du droit des contrats, les actions interrogatoires correspondaient aux actions en justice permettant d’interroger une personne qui bénéficie d’une option sur le parti qu’elle entend prendre afin de la contraindre à prendre immédiatement parti. Elles étaient proscrites, sous réserve de quelques exceptions expressément prévues par la loi, car elles aboutissaient « à ruiner le principe de l’option que les intéressés tiennent de la loi »[5].

 Afin de sécuriser la formation du contrat, la réforme a consacré de nouveaux mécanismes, qualifiés par le rapport remis au Président de la République, d’ « actions interrogatoires » et définis comme des « dispositifs d’ordre procédural destinés à permettre à une partie de mettre fin à une situation d’incertitude, qui ne portent nullement atteinte aux contrats en cours et dont l’emploi est à la discrétion des intéressés ».

 Bien que qualifiées d’actions interrogatoires, il ne s’agit pas d’actions au sens judiciaire du terme, mais, pour reprendre les termes du Professeur Alain Bénabent, d’une « interpellation interrogatoire[6] ».

 Il convient de souligner que l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 portant sur les mesures transitoires énonce que les actions interrogatoires relèvent des dispositions d’ordre procédural qui bénéficient d’un régime d’exception et pourront s’appliquer à compter du 1er octobre 2016, aussi bien pour des contrats conclus antérieurement que postérieurement à cette date.

 Bien que ces dispositions n’intéressent pas, à proprement parler, l’office du juge, elles permettent d’éviter le recours au juge en anticipant un éventuel contentieux et selon les termes du rapport remis au Président de la République, « de faire cesser une situation d’incertitude ».

 Les actions interrogatoires concernent le pacte de préférence, la représentation,  et la nullité relative du contrat.

1)         Les actions interrogatoires relatives au pacte de préférence

L’action interrogatoire prévue à l’article 1123 du Code civil offre la faculté à un tiers de demander par écrit à la personne qu’il pense être le bénéficiaire d’un pacte de préférence de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être « raisonnable », l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir. L’acte interrogatoire doit préciser la sanction du défaut de réponse : à défaut de réponse dans ce délai raisonnable, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat.

 Le rapport au Président de la République précise que cette action « a ainsi vocation à mettre fin aux situations juridiques ambiguës ».

 En l’absence d’action interrogatoire, l’annulation du contrat conclu en violation du pacte ou la substitution par le bénéficiaire du pacte reste une hypothèse marginale, car elle suppose que le bénéficiaire apporte la double preuve que le contractant connaît à la fois l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir[7].

 Le tiers n’aura aucun intérêt à poser une question qui risquerait de lui faire perdre le bénéfice du contrat, alors qu’en l’absence d’interrogation, il sera difficile au bénéficiaire d’apporter la double preuve nécessaire à l’annulation ou à la substitution du contractant. Aussi, une telle action interrogatoire n’aura-t-elle vocation à bénéficier principalement qu’au tiers qui ne sera pas en mesure de se prévaloir de sa bonne foi.

 Cette disposition soulève de nombreuses questions qui devront nécessairement être prises en compte par les justiciables et leurs conseils en termes de stratégie judiciaire :

 Le bénéficiaire du pacte pourrait-il se prévaloir d’une clause de confidentialité qui l’empêche de répondre à la sollicitation du tiers afin d’anéantir l’effet de l’action interrogatoire ?

 A la différence de l’ancienne version du texte qui précisait qu’une clause de confidentialité pouvait faire échec à l’effet de l’action interrogatoire, la nouvelle version n’apporte aucune précision.

 Le tiers devra-t-il réitérer l’action interrogatoire si les conditions du contrat projeté changent?

 Une réponse négative pourrait encourager le tiers à présenter des conditions contraignantes afin de dissuader le bénéficiaire de se prévaloir de son droit.

  •  Le bénéficiaire du pacte, qui n’a pas été interrogé, pourrait-il utiliser l’argument de l’absence de mise en œuvre de l’action interrogatoire pour engager la responsabilité du tiers sur le terrain extracontractuel ?

 En principe, cette action n’est qu’une simple faculté et l’absence de mise en œuvre ne devrait pas préjuger de la mauvaise foi du cocontractant.

  •   Le bénéficiaire qui indique avoir l’intention de se prévaloir du pacte de préférence avant de se rétracter pourrait-il être contraint par le promettant de conclure le contrat projeté ? A l’inverse, l’absence de réponse du bénéficiaire pourrait-elle être interprétée comme une renonciation à solliciter des dommages-intérêts ?

 Autant de questions qui devront, au moins dans un premier temps, donner lieu à des clarifications de la part du juge.

2)         Les actions interrogatoires quant aux pouvoirs du mandataire

Dans le but d’assurer une plus grande sécurité, l’article 1158 du Code civil introduit une action interrogatoire afin de purger les doutes qu’une personne peut avoir sur l’étendue des pouvoirs d’un représentant.

 L’article 1158 permet à un tiers doutant de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, de demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être « raisonnable », que le représentant est habilité à conclure cet acte. Une nouvelle fois, l’écrit doit mentionner qu’à défaut de réponse dans ce délai, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte.

 A l’instar de l’action interrogatoire relative aux pactes de préférence, le standard du « délai raisonnable » est utilisé à des fins de restriction de l’accès au juge.

 Pour autant, l’appréciation du délai raisonnable variera en fonction de la nature de l’action interrogatoire. Ainsi, le délai raisonnable pour informer une personne de l’existence et de l’étendue d’un mandat devrait être sensiblement plus court que celui nécessaire à confirmer l’intention d’une partie de se prévaloir d’un pacte de préférence.

3)         Les actions interrogatoires relatives à l’exercice de l’action en nullité

L’article 1183 du Code civil permet à une partie de demander par écrit au cocontractant qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. L’écrit doit mentionner qu’à défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé.

 Le rapport remis au Président de la République précise que l’objectif de cette action interrogatoire est de « pouvoir purger le contrat de ces vices potentiels et de limiter le contentieux ».

 Cette action ayant vocation à s’appliquer à toutes les causes de nullité relative susceptibles d’être confirmées son champ d’application est potentiellement très large. La catégorie des nullités absolues, protectrices de l’intérêt général, se réduit au profit des nullités relatives, protectrices d’intérêts privés. Ainsi le prix dérisoire dans un contrat de vente est traité comme une cause de nullité relative[8] et la réforme du droit des contrats a supprimé la cause et la contrariété à l’ordre public qui pouvaient donner lieu à des nullités absolues.

 À l’instar de l’action interrogatoire relative au pacte de préférence, l’article 1183 pose de nombreuses incertitudes qui devront nécessairement être prises en considération en termes de stratégie judiciaire.

 Ainsi, le texte ne précise pas si l’écrit interrogatoire doit mentionner la cause de nullité à confirmer. En l’absence de précision, aucune confirmation n’est possible. Dans le cas contraire, cette action oblige le contractant à dévoiler une cause de nullité. L’action interrogatoire peut alors très bien se retourner contre celui qui la met en œuvre en précipitant une action en nullité et s’interpréter comme preuve de la cause de nullité. Il serait particulièrement délicat pour le contractant ayant interrogé l’autre partie de soutenir par la suite qu’aucune cause de nullité n’affecte le contrat. Dans ces conditions, l’action interrogatoire portant sur la confirmation d’une nullité relative semble inopportune dans tous les cas où la nullité ne serait pas manifeste.

 On peut s’interroger sur l’appréciation que pourrait porter le juge a posteriori, en l’absence d’action interrogatoire. Ne pourrait-il pas reprocher à la partie qui se prévaut d’une nullité de ne pas avoir engagé cette action interrogatoire afin de faire cesser immédiatement la situation d’incertitude et ainsi de limiter son préjudice.

B.                 Les notifications unilatérales – consécration de mesures d’exécution privée

La réforme du droit des contrats précise la panoplie des sanctions à la disposition du créancier afin de faire sanctionner la défaillance de son cocontractant que celle-ci résulte d’une inexécution ou d’une exécution imparfaite. Ainsi, la partie subissant la défaillance de son cocontractant « peut :

  • refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
  • solliciter une réduction du prix ;
  • provoquer la résolution du contrat ;
  • demander réparation des conséquences de l’inexécution. »[9]

 L’objectif affiché du rédacteur de la réforme du droit des contrats est de promouvoir l’efficacité dans les sanctions de l’inexécution. Cette efficacité se traduit notamment par l’unilatéralisme dans les sanctions, c’est-à-dire la faculté pour le créancier de déclencher en fait et en droit les sanctions, et de leur faire produire effet et cela, en l’absence de toute intervention du juge.

 Cet unilatéralisme permet ainsi d’éviter un recours préalable aux tribunaux souvent coûteux et fastidieux, et de cantonner le juge à un contrôle a posteriori de la sanction mise en œuvre à l’encontre du débiteur défaillant.

 Sous couvert d’efficacité, le rédacteur vient donc consacrer sinon promouvoir des sanctions s’apparentant à de véritables « mesures d’exécution privée »[10]. Si pour certaines, la réforme du droit des contrats ne fait que consacrer des solutions prétoriennes déjà établies, d’autres mesures d’exécution privée constituent de véritables innovations.

1)         L’exception d’inexécution

L’article 1219 du Code civil consacre l’exception d’inexécution et permet donc à une partie de « se faire justice à soi-même » en refusant « d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».

 La faculté pour une partie de suspendre l’exécution de ses obligations en cas d’inexécution avérée par son cocontractant est admise de longue date par la jurisprudence.

La véritable innovation en la matière résulte de l’article 1220 qui permet à une partie de « suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle », cette suspension devant être notifiée dans « les meilleurs délais. »

 Ainsi, l’inexécution présumée bien que non avérée suffit pour permettre à une partie de suspendre ses propres obligations.

 Dans les deux cas de figure, le juge se cantonnera à apprécier les conditions de mise en œuvre de l’exception d’inexécution et, le cas échéant, sanctionnera un usage fautif.

 Bien que le texte ne le précise pas, le créancier aura tout intérêt à motiver la notification visée à l’article 1220 afin d’être en mesure de prouver la défaillance suspectée.

 Toutefois, si le contractant exécute son obligation malgré les prévisions de son cocontractant, la question sera de savoir si ce dernier pourra être considéré comme étant défaillant et engager, à ce titre, sa responsabilité contractuelle.

2)         L’exécution forcée en nature à l’initiative du créancier

L’article 1222 du Code civil consacre la possibilité pour le créancier en cas de défaillance de son débiteur de faire exécuter « dans un délai et à un coût raisonnables » l’obligation par une autre personne que le débiteur défaillant.

 Le rapport au Président de la République indique que cet article « supprime l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation, le contrôle du juge n’intervenant qu’a posteriori en cas de refus du débiteur de payer ou de contestation de celui-ci ».

 Ce nouveau mécanisme représente une innovation majeure de la réforme du droit des contrats. Avant la réforme, la dispense d’autorisation était l’exception ; elle devient aujourd’hui le principe.

 Le juge intervient une nouvelle fois a posteriori afin, en cas de désaccord entre les parties, de contraindre le débiteur récalcitrant de prendre en charge le coût de l’exécution par un tiers et, le cas échéant, apprécier son caractère « raisonnable ».

 La question est de savoir si le juge ne va pas s’emparer de cette disposition afin de faire peser sur le créancier une véritable obligation de « mitigation », dès lors que le créancier a la faculté, en exécutant lui-même l’obligation inexécutée, de limiter son préjudice.

 Si le texte maintient l’intervention préalable du juge afin de procéder à la destruction de la chose faite en violation de l’obligation, en raison du caractère irrémédiable de la destruction, une telle hypothèse  reste toutefois minoritaire.

3)         La réduction unilatérale du prix

L’article 1223 du Code civil dispose que « Le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix. S’il n’a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais. »

 Le Rapport au Président de la République précise que « l’article 1223 offre la possibilité au créancier d’une obligation imparfaitement exécutée d’accepter cette réduction, sans devoir saisir le juge en diminution du prix » et confirme ainsi une nouvelle fois la volonté de réduire l’intervention du juge.

 La portée de cet article reste incertaine, le premier alinéa ne précisant pas auprès de qui la révision devra être sollicitée : Si c’est auprès du débiteur, aucun texte spécifique n’était nécessaire pour consacrer cette possibilité. Si c’est auprès du juge, ce texte consacre une révision judiciaire du contrat pour inexécution à la seule demande du créancier. Toutefois, une telle interprétation n’apparaît pas cohérente avec la suite du texte qui prévoit une notification à l’initiative du créancier.

 En tout état de cause, il est probable que les parties ne s’entendront pas sur le caractère imparfait de l’exécution et qu’elles recourront au juge afin qu’il se prononce sur le caractère imparfait de l’exécution ou à défaut, le caractère proportionnel de la réduction du prix.

 Le pouvoir d’appréciation du juge sera d’autant plus grand que la notion d’ « exécution imparfaite » semble malléable : elle ne renvoie pas nécessairement à une inexécution fautive ou à une exécution non conforme aux prévisions contractuelles.

 Enfin, le juge pourrait-il considérer que la notification de la décision de réduire le prix constitue une renonciation à une action ultérieure en exécution forcée ou en résolution du contrat ou encore en obtention de dommages-intérêts.

4)         La résolution unilatérale

L’article 1226 permet au créancier, à ses risques et périls, de résoudre le contrat par voie de notification.

 Sans représenter une innovation, cet article illustre le fait que la résolution judiciaire visée à l’article 1227 n’est plus la solution de principe, celle-ci étant traitée par les nouveaux articles du Code civil en troisième et dernier lieu, après la résolution conventionnelle (article 1225) et la résolution unilatérale (article 1126).

 Si les actions interrogatoires et les pouvoirs de notifications unilatérales, confiés aux parties par la réforme du droit des contrats, tendent à diminuer sinon déplacer les occasions d’intervention du juge, le texte nouveau contient de nouveaux standards qui appellent une définition judiciaire en cas de litige et pourraient permettre au juge d’étendre son pouvoir d’appréciation souveraine.

2.      l’appréciation souveraine des juges renforcée

La réforme du droit des contrats fait référence à de nombreux standards et adjectifs qualitatifs dans l’appréciation des obligations et rompt ainsi avec le style déterminant et précis du rédacteur de 1804.

 Ainsi, le « délai raisonnable » est évoqué dans les articles intéressant le régime de l’offre (articles 1116 et 1117), les actions interrogatoires (articles 1123 et 1158), le préavis de résiliation d’un contrat à durée indéterminée (article 1211) ou encore la résiliation unilatérale (article 1226).

 La « personne raisonnable » devient la directive d’interprétation du contrat (article 1188) et des obligations résultant de l’effet translatif des contrats (article 1197).

 Enfin, ainsi qu’il a été évoqué plus haut, l’article 1222 permettant au créancier en cas de défaillance de son débiteur de faire exécuter l’obligation se réfère à « un délai et à un coût raisonnables ».

 Le nouveau texte contient également de nombreux adjectifs et adverbes (« légitime, grave, substantiel, significatif suffisamment grave, manifestement ») qui laissent place à une appréciation subjective.

 En l’absence de travaux préparatoires, les praticiens et les juges ne bénéficient d’aucun indice permettant de connaître l’appréciation qu’il conviendrait d’avoir de ces nouveaux standards.

 Le recours à ces standards, par nature malléable est source d’insécurité juridique et ne manquera pas d’alimenter un nouveau contentieux.

 Le nouveau texte comporte ainsi une large part d’indéterminé remise à l’office du juge qui devra préciser la norme.

 La question est de savoir si la Cour de cassation pourra exercer un contrôle régulateur sur l’appréciation de ces standards par les juges du fond. À défaut, un aléa judiciaire particulièrement important existera.

 Enfin, la réforme érige la bonne foi en véritable principe directeur du contrat en l’étendant non seulement à l’exécution du contrat, mais également à sa formation et aux négociations précontractuelles.

 A cet égard l’article 1104 rappelle que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi », tandis que l’article 1112 précise que les négociations précontractuelles « doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi ».

 Si antérieurement à la réforme du droit des contrats, l’obligation de bonne foi était également présente lors de la formation du contrat, elle ne s’y trouvait que par l’intermédiaire de substituts posés par la Cour de cassation telle l’obligation précontractuelle d’information.

 L’obligation générale de bonne foi consacrée par la réforme permet au juge d’élargir son contrôle et de sanctionner des comportements contraires à la bonne foi qui ne relèvent pas nécessairement d’un manquement à l’obligation précontractuelle d’information.

 En effet, la bonne foi est une notion malléable dont le contenu n’est pas déterminé par le législateur et est donc susceptible d’applications multiples.

 Enfin, le contrôle du juge est d’autant plus important que l’impératif de bonne foi est d’ordre public et qu’il pourrait relever d’office les manquements à cette dernière.

 En élargissant le champ d’application de certaines notions, telle la bonne foi, ou en recourant à de nombreux standards, la réforme offre la possibilité au juge d’étendre son contrôle sur le contrat et d’avoir une approche pragmatique du contrat.

3.      l’immixtion du juge dans le contenu du contrat

L’ordonnance renforce considérablement le rôle du juge dans le contentieux du contenu du contrat en consacrant la théorie de l’imprévision, ainsi qu’un pouvoir d’appréciation dans les contrats d’adhésion et dans l’appréciation de l’abus de dépendance.

A.    La révision pour imprévision

Le nouvel article 1195 du Code civil consacre la révision pour imprévision et ouvre ainsi une brèche dans la conception traditionnelle du contrat voulu comme la chose des parties, le juge n’en étant que le serviteur.

 Sous couvert d’imprévision, le juge a le pouvoir extraordinaire de maintenir les parties dans les liens d’un contrat dont il aura réécrit les termes.

 L’émoi suscité par cette disposition fut d’autant plus grand que l’avant-projet de réforme ne prévoyait aucune faculté de révision au bénéfice du juge, mais uniquement une faculté de résiliation judiciaire en cas d’échec des négociations.

 Par ailleurs, ni la doctrine, ni les praticiens, ni même les magistrats n’avaient manifesté le souhait de voir le juge se charger d’un pouvoir de révision. Tant les praticiens que les juges ont su apporter les adaptations nécessaires afin de remédier à l’interdiction de révision pour imprévision : faculté de résiliation unilatérale des contrats à durée indéterminée, l’obtention de délais de grâce, à l’insertion d’une clause de « hardship ».

 Il convient toutefois de souligner que l’intervention du juge est subsidiaire et suppose l’échec d’une tentative de règlement amiable de la difficulté.

 L’intervention subsidiaire du juge illustre le fait qu’elle n’est pas naturelle et que le règlement judiciaire doit demeurer l’exception.

 La subsidiarité risque cependant d’achopper en pratique : le créancier n’envisagera pas volontiers d’engager un processus au terme duquel il devra abandonner un avantage et contestera donc très probablement que l’obligation est excessivement onéreuse ou imprévisible. Par ailleurs, s’il accepte de négocier cela, pourrait être interprété comme la reconnaissance de la réalité du cas d’imprévision, le rendant d’autant moins fondé à contester l’imprévision devant le juge, si les négociations échouent.

 L’article 1195 ne prévoit aucune limite au pouvoir du juge qui peut soit réviser le contrat, soit le résilier dans les conditions qu’il fixe. La très grande liberté accordée au juge est de nature à générer une grande insécurité juridique.

 Du fait de ses pouvoirs très larges, l’intervention du juge est revêtue d’une très forte dimension comminatoire de nature à dissuader les parties à ne pas trouver d’accord amiable.

 Le rapport remis au Président de la République indique à ce titre que l’imprévision a « vocation à jouer un rôle préventif, le risque d’anéantissement ou de révision du contrat par le juge devant inciter les parties à négocier. »

 Paradoxalement, la réforme du droit des contrats accorde au juge une emprise d’autant plus importante sur le contrat qu’elle souhaite éviter son intervention.

B.                 Les clauses réputées non écrites en cas de déséquilibre significatif

L’article 1171 répute non écrite toute clause, dans un contrat d’adhésion, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

 Le champ d’application de cet article est potentiellement très large dès lors qu’il a vocation à s’appliquer à tous les contrats d’adhésion définis par l’article 1110 comme les contrats dont les conditions générales sont soustraites à la négociation et sont déterminées à l’avance par l’une des parties.

 Ainsi, afin de protéger la partie considérée comme étant la plus faible (dès lors qu’elle n’a pas été en mesure de négocier les termes de son engagement), l’article 1171 accorde au juge le pouvoir d’apprécier le contenu du contrat et de neutraliser certaines clauses.

 La notion de déséquilibre significatif est éminemment imprécise, l’article 1171 ne posant aucune limite au pouvoir d’appréciation du juge, à la différence du droit de la consommation et du droit de la concurrence.

 Le juge pourra toutefois recourir à l’appréciation du « déséquilibre significatif » faite dans le cadre de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce relatif aux pratiques restrictives de concurrence ou à celle visée à l’article L.132-1 du code de la consommation relatif aux clauses abusives.

 En tout état de cause, l’étendue du contrôle ne pourra pas porter sur l’objet du contrat et la proportionnalité du prix.

 Les hypothèses de recours à l’article 1171 du Code civil seront probablement limitées, dès lors que les dispositions de l’article L.132-1 du code de la consommation sont plus protectrices du droit des consommateurs du fait de la faculté du juge de révéler d’office le caractère abusif d’une clause[11], des listes des clauses noires et grises réputées abusives[12], et de l’existence d’amendes administratives élevées[13].

 De même, les dispositions de l’article L.442-6,I, 2° du code de commerce sont, quant à elles plus protectrices des professionnels, dès lors qu’elles s’appliquent également à la proportionnalité du prix.

C.                L’abus de dépendance économique

Afin d’assurer la protection des personnes vulnérables, la réforme du droit des contrats a assimilé à la violence l’abus de la dépendance dans lequel se trouve le cocontractant.

 L’article 1143  du Code civil dispose qu’ « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

 L’abus de dépendance ne se réduit pas à la seule « dépendance économique », mais vise tous les cas de dépendance (psychologique, psychique et affective).

 Afin « d’objectiver l’appréciation » de cet abus, il est apprécié par rapport à l’« avantage manifestement excessif »[14] qu’en retire son cocontractant.

 Toutefois, cette notion se rattache davantage à la lésion qu’à la violence et permet une remise en cause de la validité du contrat en considération de la comparaison des bénéfices que chacune des parties en retire.

 Ce texte procède donc d’une confusion entre la cause et l’effet en ne sanctionnant pas tant l’usage de menace ayant contraint une partie, que l’« avantage manifestement excessif » qu’en retire l’autre. Or, il est possible d’imaginer un abus d’un état de dépendance en l’absence d’un avantage manifestement excessif. Tel serait le cas d’une personne en état de dépendance affective à l’égard de celle qui lui vend un bien au prix du marché.

 A l’inverse, le seul état de dépendance suffirait à annuler un contrat procurant un avantage manifestement excessif à l’autre partie, alors même qu’aucune menace n’aurait été utilisée.

 Ce texte tend à conférer au juge un pouvoir de contrôle de l’économie même du contrat et à sanctionner la lésion réalisée au détriment d’une personne vulnérable.

  1. Décret 2015-282 du 11 mars 2015, Notice
  2. Communiqué de presse du Conseil des ministres du 31 juillet 2015 ; Etude d’impact – projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle
  3. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
  4. Alain Bénabent, Les nouveaux mécanismes, revue des contrats hors-série avril 2016. 
  5. PERROT, Cours de droit judiciaire privé, Les cours de droit, 1980, p. 79
  6. Alain Bénabent, Les nouveaux mécanismes, revue des contrats hors-série avril 2016. 
  7. Cass. Mixte, 26 mai 2006, n°03-19.376
  8. Cass. Civ 3e 24 oct.2012 n°11-21.980
  9. Article 1217 du code civil
  10. R. Demogue, les notions fondamentales du droit privé, Essai critique, Paris : Librairie nouvelle de Droit et de Jurisprudence 1911
  11. Article L.141-4 du code de la consommation
  12. Article R.132-1 et 132-2 du code de la consommation
  13. Article L.132-2 du code de la consommation
  14. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Article rédigé par Antoine CHATAIN et Jean-Philippe ERB paru dans la revue Semaine Juridique – Entreprises et Affaires – N° 18 – 4 mai 2017

Voir l’article : « les conséquences de la réforme du droit des contrats sur l’intervention du juge »

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« Les conséquences de la réforme du droit des contrats sur l’intervention du juge »

La réforme du droit des contrats déplace l’intervention du juge vers un contrôle a posteriori et offre à cette fin aux parties de nouvelles prérogatives permettant, sans recourir préalablement au juge, de faire cesser des situations d’incertitude et de sanctionner la défaillance du cocontractant. Toutefois, le recours à de nombreux standards et la faculté pour le juge de réviser le contrat pour imprévision renforcent son rôle dans l’appréciation des obligations à la charge des parties et dans le contentieux du contenu du contrat.

 L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a, pour l’essentiel, consacré les solutions prétoriennes procédant à ce qui a pu être appelé une « codification à jurisprudence constante ».

 Ce texte a opéré peu de changements notables par rapport au droit positif : la loi évolue en intégrant des solutions jurisprudentielles admises de longue date, mais le droit, lui, ne change pas.

 La réforme du droit des contrats n’est cependant pas sans incidence sur l’intervention du juge et s’inscrit dans un contexte législatif particulier tendant à s’affranchir de ce dernier.

 Ainsi, le décret n°2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile a pour objectif de favoriser le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges en « obligeant les parties à indiquer, dans l’acte de saisine de la juridiction, les démarches de résolution amiable précédemment effectuées »[1].

 La loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques contient un volet consacré à la réforme de la justice prud’homale afin, notamment de favoriser le règlement amiable des litiges et d’éviter un recours au juge. A cette fin, elle élargit les pouvoirs du bureau de conciliation qui devient le « bureau de conciliation et d’orientation » qui a notamment pour mission de « concilier les parties », et autorise le recours à la médiation conventionnelle ainsi qu’à la procédure participative.

 Enfin, la loi de modernisation de la justice du 21ème siècle, dans le but d’instaurer une justice « plus efficace » et « plus accessible[2] » entend également limiter le rôle du juge en encourageant les modes alternatifs de résolution des litiges (la conciliation devient un préalable obligatoire pour les litiges d’un montant inférieur à 4.000 euros) et en faisant sortir de son giron certaines de ses prérogatives (la convention de divorce par consentement mutuel pourra être enregistrée chez un notaire tandis que le pacte civil de solidarité et le changement de prénom seront enregistrés en mairie).

 Le mode juridictionnel de la résolution des litiges tend à devenir un mode alternatif des litiges, voire une exception au profit de la résolution amiable.

 L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 s’inscrit pleinement dans cette volonté de réduire l’intervention du juge et, par voie de conséquence, de favoriser la résolution amiable des différends.

 Le rapport au Président de la République précise que « Dans une perspective d’efficacité économique du droit, l’ordonnance offre également aux contractants de nouvelles prérogatives leur permettant de prévenir le contentieux ou de le résoudre sans nécessairement recourir au juge […].[3] »

 L’intervention du juge est envisagée comme un risque économique et un frein à la croissance.

 L’ordonnance propose à cette fin de « nouveaux mécanismes[4] » permettant de limiter l’intervention du juge soit en prévenant le contentieux, soit en le confinant à un contrôle a posteriori (1).

 Toutefois, en faisant abondamment référence à de nombreux standards, la réforme du droit des contrats renforce le pouvoir d’appréciation du juge (2).

 Enfin, dans un souci tant de protection de la partie considérée comme la plus vulnérable que de lutte contre les déséquilibres contractuels majeurs survenant en cours d’exécution du contrat, la réforme du droit des contrats renforce le rôle du juge dans le contentieux du contenu du contrat (3).

1.      l’intervention du juge retardee

Les actions interrogatoires et les notifications unilatérales sont de nouveaux outils laissés à la disposition des parties afin d’éviter l’intervention du juge, ou à défaut, la retarder.

A.                Les actions interrogatoires

Antérieurement à la réforme du droit des contrats, les actions interrogatoires correspondaient aux actions en justice permettant d’interroger une personne qui bénéficie d’une option sur le parti qu’elle entend prendre afin de la contraindre à prendre immédiatement parti. Elles étaient proscrites, sous réserve de quelques exceptions expressément prévues par la loi, car elles aboutissaient « à ruiner le principe de l’option que les intéressés tiennent de la loi »[5].

 Afin de sécuriser la formation du contrat, la réforme a consacré de nouveaux mécanismes, qualifiés par le rapport remis au Président de la République, d’ « actions interrogatoires » et définis comme des « dispositifs d’ordre procédural destinés à permettre à une partie de mettre fin à une situation d’incertitude, qui ne portent nullement atteinte aux contrats en cours et dont l’emploi est à la discrétion des intéressés ».

 Bien que qualifiées d’actions interrogatoires, il ne s’agit pas d’actions au sens judiciaire du terme, mais, pour reprendre les termes du Professeur Alain Bénabent, d’une « interpellation interrogatoire[6] ».

 Il convient de souligner que l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 portant sur les mesures transitoires énonce que les actions interrogatoires relèvent des dispositions d’ordre procédural qui bénéficient d’un régime d’exception et pourront s’appliquer à compter du 1er octobre 2016, aussi bien pour des contrats conclus antérieurement que postérieurement à cette date.

 Bien que ces dispositions n’intéressent pas, à proprement parler, l’office du juge, elles permettent d’éviter le recours au juge en anticipant un éventuel contentieux et selon les termes du rapport remis au Président de la République, « de faire cesser une situation d’incertitude ».

 Les actions interrogatoires concernent le pacte de préférence, la représentation,  et la nullité relative du contrat.

1)         Les actions interrogatoires relatives au pacte de préférence

L’action interrogatoire prévue à l’article 1123 du Code civil offre la faculté à un tiers de demander par écrit à la personne qu’il pense être le bénéficiaire d’un pacte de préférence de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être « raisonnable », l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir. L’acte interrogatoire doit préciser la sanction du défaut de réponse : à défaut de réponse dans ce délai raisonnable, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat.

 Le rapport au Président de la République précise que cette action « a ainsi vocation à mettre fin aux situations juridiques ambiguës ».

 En l’absence d’action interrogatoire, l’annulation du contrat conclu en violation du pacte ou la substitution par le bénéficiaire du pacte reste une hypothèse marginale, car elle suppose que le bénéficiaire apporte la double preuve que le contractant connaît à la fois l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir[7].

 Le tiers n’aura aucun intérêt à poser une question qui risquerait de lui faire perdre le bénéfice du contrat, alors qu’en l’absence d’interrogation, il sera difficile au bénéficiaire d’apporter la double preuve nécessaire à l’annulation ou à la substitution du contractant. Aussi, une telle action interrogatoire n’aura-t-elle vocation à bénéficier principalement qu’au tiers qui ne sera pas en mesure de se prévaloir de sa bonne foi.

 Cette disposition soulève de nombreuses questions qui devront nécessairement être prises en compte par les justiciables et leurs conseils en termes de stratégie judiciaire :

 Le bénéficiaire du pacte pourrait-il se prévaloir d’une clause de confidentialité qui l’empêche de répondre à la sollicitation du tiers afin d’anéantir l’effet de l’action interrogatoire ?

 A la différence de l’ancienne version du texte qui précisait qu’une clause de confidentialité pouvait faire échec à l’effet de l’action interrogatoire, la nouvelle version n’apporte aucune précision.

 Le tiers devra-t-il réitérer l’action interrogatoire si les conditions du contrat projeté changent?

 Une réponse négative pourrait encourager le tiers à présenter des conditions contraignantes afin de dissuader le bénéficiaire de se prévaloir de son droit.

  •  Le bénéficiaire du pacte, qui n’a pas été interrogé, pourrait-il utiliser l’argument de l’absence de mise en œuvre de l’action interrogatoire pour engager la responsabilité du tiers sur le terrain extracontractuel ?

 En principe, cette action n’est qu’une simple faculté et l’absence de mise en œuvre ne devrait pas préjuger de la mauvaise foi du cocontractant.

  •   Le bénéficiaire qui indique avoir l’intention de se prévaloir du pacte de préférence avant de se rétracter pourrait-il être contraint par le promettant de conclure le contrat projeté ? A l’inverse, l’absence de réponse du bénéficiaire pourrait-elle être interprétée comme une renonciation à solliciter des dommages-intérêts ?

 Autant de questions qui devront, au moins dans un premier temps, donner lieu à des clarifications de la part du juge.

2)         Les actions interrogatoires quant aux pouvoirs du mandataire

Dans le but d’assurer une plus grande sécurité, l’article 1158 du Code civil introduit une action interrogatoire afin de purger les doutes qu’une personne peut avoir sur l’étendue des pouvoirs d’un représentant.

 L’article 1158 permet à un tiers doutant de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, de demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être « raisonnable », que le représentant est habilité à conclure cet acte. Une nouvelle fois, l’écrit doit mentionner qu’à défaut de réponse dans ce délai, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte.

 A l’instar de l’action interrogatoire relative aux pactes de préférence, le standard du « délai raisonnable » est utilisé à des fins de restriction de l’accès au juge.

 Pour autant, l’appréciation du délai raisonnable variera en fonction de la nature de l’action interrogatoire. Ainsi, le délai raisonnable pour informer une personne de l’existence et de l’étendue d’un mandat devrait être sensiblement plus court que celui nécessaire à confirmer l’intention d’une partie de se prévaloir d’un pacte de préférence.

3)         Les actions interrogatoires relatives à l’exercice de l’action en nullité

L’article 1183 du Code civil permet à une partie de demander par écrit au cocontractant qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. L’écrit doit mentionner qu’à défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé.

 Le rapport remis au Président de la République précise que l’objectif de cette action interrogatoire est de « pouvoir purger le contrat de ces vices potentiels et de limiter le contentieux ».

 Cette action ayant vocation à s’appliquer à toutes les causes de nullité relative susceptibles d’être confirmées son champ d’application est potentiellement très large. La catégorie des nullités absolues, protectrices de l’intérêt général, se réduit au profit des nullités relatives, protectrices d’intérêts privés. Ainsi le prix dérisoire dans un contrat de vente est traité comme une cause de nullité relative[8] et la réforme du droit des contrats a supprimé la cause et la contrariété à l’ordre public qui pouvaient donner lieu à des nullités absolues.

 À l’instar de l’action interrogatoire relative au pacte de préférence, l’article 1183 pose de nombreuses incertitudes qui devront nécessairement être prises en considération en termes de stratégie judiciaire.

 Ainsi, le texte ne précise pas si l’écrit interrogatoire doit mentionner la cause de nullité à confirmer. En l’absence de précision, aucune confirmation n’est possible. Dans le cas contraire, cette action oblige le contractant à dévoiler une cause de nullité. L’action interrogatoire peut alors très bien se retourner contre celui qui la met en œuvre en précipitant une action en nullité et s’interpréter comme preuve de la cause de nullité. Il serait particulièrement délicat pour le contractant ayant interrogé l’autre partie de soutenir par la suite qu’aucune cause de nullité n’affecte le contrat. Dans ces conditions, l’action interrogatoire portant sur la confirmation d’une nullité relative semble inopportune dans tous les cas où la nullité ne serait pas manifeste.

 On peut s’interroger sur l’appréciation que pourrait porter le juge a posteriori, en l’absence d’action interrogatoire. Ne pourrait-il pas reprocher à la partie qui se prévaut d’une nullité de ne pas avoir engagé cette action interrogatoire afin de faire cesser immédiatement la situation d’incertitude et ainsi de limiter son préjudice.

B.                 Les notifications unilatérales – consécration de mesures d’exécution privée

La réforme du droit des contrats précise la panoplie des sanctions à la disposition du créancier afin de faire sanctionner la défaillance de son cocontractant que celle-ci résulte d’une inexécution ou d’une exécution imparfaite. Ainsi, la partie subissant la défaillance de son cocontractant « peut :

  • refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
  • solliciter une réduction du prix ;
  • provoquer la résolution du contrat ;
  • demander réparation des conséquences de l’inexécution. »[9]

 L’objectif affiché du rédacteur de la réforme du droit des contrats est de promouvoir l’efficacité dans les sanctions de l’inexécution. Cette efficacité se traduit notamment par l’unilatéralisme dans les sanctions, c’est-à-dire la faculté pour le créancier de déclencher en fait et en droit les sanctions, et de leur faire produire effet et cela, en l’absence de toute intervention du juge.

 Cet unilatéralisme permet ainsi d’éviter un recours préalable aux tribunaux souvent coûteux et fastidieux, et de cantonner le juge à un contrôle a posteriori de la sanction mise en œuvre à l’encontre du débiteur défaillant.

 Sous couvert d’efficacité, le rédacteur vient donc consacrer sinon promouvoir des sanctions s’apparentant à de véritables « mesures d’exécution privée »[10]. Si pour certaines, la réforme du droit des contrats ne fait que consacrer des solutions prétoriennes déjà établies, d’autres mesures d’exécution privée constituent de véritables innovations.

1)         L’exception d’inexécution

L’article 1219 du Code civil consacre l’exception d’inexécution et permet donc à une partie de « se faire justice à soi-même » en refusant « d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».

 La faculté pour une partie de suspendre l’exécution de ses obligations en cas d’inexécution avérée par son cocontractant est admise de longue date par la jurisprudence.

La véritable innovation en la matière résulte de l’article 1220 qui permet à une partie de « suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle », cette suspension devant être notifiée dans « les meilleurs délais. »

 Ainsi, l’inexécution présumée bien que non avérée suffit pour permettre à une partie de suspendre ses propres obligations.

 Dans les deux cas de figure, le juge se cantonnera à apprécier les conditions de mise en œuvre de l’exception d’inexécution et, le cas échéant, sanctionnera un usage fautif.

 Bien que le texte ne le précise pas, le créancier aura tout intérêt à motiver la notification visée à l’article 1220 afin d’être en mesure de prouver la défaillance suspectée.

 Toutefois, si le contractant exécute son obligation malgré les prévisions de son cocontractant, la question sera de savoir si ce dernier pourra être considéré comme étant défaillant et engager, à ce titre, sa responsabilité contractuelle.

2)         L’exécution forcée en nature à l’initiative du créancier

L’article 1222 du Code civil consacre la possibilité pour le créancier en cas de défaillance de son débiteur de faire exécuter « dans un délai et à un coût raisonnables » l’obligation par une autre personne que le débiteur défaillant.

 Le rapport au Président de la République indique que cet article « supprime l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation, le contrôle du juge n’intervenant qu’a posteriori en cas de refus du débiteur de payer ou de contestation de celui-ci ».

 Ce nouveau mécanisme représente une innovation majeure de la réforme du droit des contrats. Avant la réforme, la dispense d’autorisation était l’exception ; elle devient aujourd’hui le principe.

 Le juge intervient une nouvelle fois a posteriori afin, en cas de désaccord entre les parties, de contraindre le débiteur récalcitrant de prendre en charge le coût de l’exécution par un tiers et, le cas échéant, apprécier son caractère « raisonnable ».

 La question est de savoir si le juge ne va pas s’emparer de cette disposition afin de faire peser sur le créancier une véritable obligation de « mitigation », dès lors que le créancier a la faculté, en exécutant lui-même l’obligation inexécutée, de limiter son préjudice.

 Si le texte maintient l’intervention préalable du juge afin de procéder à la destruction de la chose faite en violation de l’obligation, en raison du caractère irrémédiable de la destruction, une telle hypothèse  reste toutefois minoritaire.

3)         La réduction unilatérale du prix

L’article 1223 du Code civil dispose que « Le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix. S’il n’a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais. »

 Le Rapport au Président de la République précise que « l’article 1223 offre la possibilité au créancier d’une obligation imparfaitement exécutée d’accepter cette réduction, sans devoir saisir le juge en diminution du prix » et confirme ainsi une nouvelle fois la volonté de réduire l’intervention du juge.

 La portée de cet article reste incertaine, le premier alinéa ne précisant pas auprès de qui la révision devra être sollicitée : Si c’est auprès du débiteur, aucun texte spécifique n’était nécessaire pour consacrer cette possibilité. Si c’est auprès du juge, ce texte consacre une révision judiciaire du contrat pour inexécution à la seule demande du créancier. Toutefois, une telle interprétation n’apparaît pas cohérente avec la suite du texte qui prévoit une notification à l’initiative du créancier.

 En tout état de cause, il est probable que les parties ne s’entendront pas sur le caractère imparfait de l’exécution et qu’elles recourront au juge afin qu’il se prononce sur le caractère imparfait de l’exécution ou à défaut, le caractère proportionnel de la réduction du prix.

 Le pouvoir d’appréciation du juge sera d’autant plus grand que la notion d’ « exécution imparfaite » semble malléable : elle ne renvoie pas nécessairement à une inexécution fautive ou à une exécution non conforme aux prévisions contractuelles.

 Enfin, le juge pourrait-il considérer que la notification de la décision de réduire le prix constitue une renonciation à une action ultérieure en exécution forcée ou en résolution du contrat ou encore en obtention de dommages-intérêts.

4)         La résolution unilatérale

L’article 1226 permet au créancier, à ses risques et périls, de résoudre le contrat par voie de notification.

 Sans représenter une innovation, cet article illustre le fait que la résolution judiciaire visée à l’article 1227 n’est plus la solution de principe, celle-ci étant traitée par les nouveaux articles du Code civil en troisième et dernier lieu, après la résolution conventionnelle (article 1225) et la résolution unilatérale (article 1126).

 Si les actions interrogatoires et les pouvoirs de notifications unilatérales, confiés aux parties par la réforme du droit des contrats, tendent à diminuer sinon déplacer les occasions d’intervention du juge, le texte nouveau contient de nouveaux standards qui appellent une définition judiciaire en cas de litige et pourraient permettre au juge d’étendre son pouvoir d’appréciation souveraine.

2.      l’appréciation souveraine des juges renforcée

La réforme du droit des contrats fait référence à de nombreux standards et adjectifs qualitatifs dans l’appréciation des obligations et rompt ainsi avec le style déterminant et précis du rédacteur de 1804.

 Ainsi, le « délai raisonnable » est évoqué dans les articles intéressant le régime de l’offre (articles 1116 et 1117), les actions interrogatoires (articles 1123 et 1158), le préavis de résiliation d’un contrat à durée indéterminée (article 1211) ou encore la résiliation unilatérale (article 1226).

 La « personne raisonnable » devient la directive d’interprétation du contrat (article 1188) et des obligations résultant de l’effet translatif des contrats (article 1197).

 Enfin, ainsi qu’il a été évoqué plus haut, l’article 1222 permettant au créancier en cas de défaillance de son débiteur de faire exécuter l’obligation se réfère à « un délai et à un coût raisonnables ».

 Le nouveau texte contient également de nombreux adjectifs et adverbes (« légitime, grave, substantiel, significatif suffisamment grave, manifestement ») qui laissent place à une appréciation subjective.

 En l’absence de travaux préparatoires, les praticiens et les juges ne bénéficient d’aucun indice permettant de connaître l’appréciation qu’il conviendrait d’avoir de ces nouveaux standards.

 Le recours à ces standards, par nature malléable est source d’insécurité juridique et ne manquera pas d’alimenter un nouveau contentieux.

 Le nouveau texte comporte ainsi une large part d’indéterminé remise à l’office du juge qui devra préciser la norme.

 La question est de savoir si la Cour de cassation pourra exercer un contrôle régulateur sur l’appréciation de ces standards par les juges du fond. À défaut, un aléa judiciaire particulièrement important existera.

 Enfin, la réforme érige la bonne foi en véritable principe directeur du contrat en l’étendant non seulement à l’exécution du contrat, mais également à sa formation et aux négociations précontractuelles.

 A cet égard l’article 1104 rappelle que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi », tandis que l’article 1112 précise que les négociations précontractuelles « doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi ».

 Si antérieurement à la réforme du droit des contrats, l’obligation de bonne foi était également présente lors de la formation du contrat, elle ne s’y trouvait que par l’intermédiaire de substituts posés par la Cour de cassation telle l’obligation précontractuelle d’information.

 L’obligation générale de bonne foi consacrée par la réforme permet au juge d’élargir son contrôle et de sanctionner des comportements contraires à la bonne foi qui ne relèvent pas nécessairement d’un manquement à l’obligation précontractuelle d’information.

 En effet, la bonne foi est une notion malléable dont le contenu n’est pas déterminé par le législateur et est donc susceptible d’applications multiples.

 Enfin, le contrôle du juge est d’autant plus important que l’impératif de bonne foi est d’ordre public et qu’il pourrait relever d’office les manquements à cette dernière.

 En élargissant le champ d’application de certaines notions, telle la bonne foi, ou en recourant à de nombreux standards, la réforme offre la possibilité au juge d’étendre son contrôle sur le contrat et d’avoir une approche pragmatique du contrat.

3.      l’immixtion du juge dans le contenu du contrat

L’ordonnance renforce considérablement le rôle du juge dans le contentieux du contenu du contrat en consacrant la théorie de l’imprévision, ainsi qu’un pouvoir d’appréciation dans les contrats d’adhésion et dans l’appréciation de l’abus de dépendance.

A.    La révision pour imprévision

Le nouvel article 1195 du Code civil consacre la révision pour imprévision et ouvre ainsi une brèche dans la conception traditionnelle du contrat voulu comme la chose des parties, le juge n’en étant que le serviteur.

 Sous couvert d’imprévision, le juge a le pouvoir extraordinaire de maintenir les parties dans les liens d’un contrat dont il aura réécrit les termes.

 L’émoi suscité par cette disposition fut d’autant plus grand que l’avant-projet de réforme ne prévoyait aucune faculté de révision au bénéfice du juge, mais uniquement une faculté de résiliation judiciaire en cas d’échec des négociations.

 Par ailleurs, ni la doctrine, ni les praticiens, ni même les magistrats n’avaient manifesté le souhait de voir le juge se charger d’un pouvoir de révision. Tant les praticiens que les juges ont su apporter les adaptations nécessaires afin de remédier à l’interdiction de révision pour imprévision : faculté de résiliation unilatérale des contrats à durée indéterminée, l’obtention de délais de grâce, à l’insertion d’une clause de « hardship ».

 Il convient toutefois de souligner que l’intervention du juge est subsidiaire et suppose l’échec d’une tentative de règlement amiable de la difficulté.

 L’intervention subsidiaire du juge illustre le fait qu’elle n’est pas naturelle et que le règlement judiciaire doit demeurer l’exception.

 La subsidiarité risque cependant d’achopper en pratique : le créancier n’envisagera pas volontiers d’engager un processus au terme duquel il devra abandonner un avantage et contestera donc très probablement que l’obligation est excessivement onéreuse ou imprévisible. Par ailleurs, s’il accepte de négocier cela, pourrait être interprété comme la reconnaissance de la réalité du cas d’imprévision, le rendant d’autant moins fondé à contester l’imprévision devant le juge, si les négociations échouent.

 L’article 1195 ne prévoit aucune limite au pouvoir du juge qui peut soit réviser le contrat, soit le résilier dans les conditions qu’il fixe. La très grande liberté accordée au juge est de nature à générer une grande insécurité juridique.

 Du fait de ses pouvoirs très larges, l’intervention du juge est revêtue d’une très forte dimension comminatoire de nature à dissuader les parties à ne pas trouver d’accord amiable.

 Le rapport remis au Président de la République indique à ce titre que l’imprévision a « vocation à jouer un rôle préventif, le risque d’anéantissement ou de révision du contrat par le juge devant inciter les parties à négocier. »

 Paradoxalement, la réforme du droit des contrats accorde au juge une emprise d’autant plus importante sur le contrat qu’elle souhaite éviter son intervention.

B.                 Les clauses réputées non écrites en cas de déséquilibre significatif

L’article 1171 répute non écrite toute clause, dans un contrat d’adhésion, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

 Le champ d’application de cet article est potentiellement très large dès lors qu’il a vocation à s’appliquer à tous les contrats d’adhésion définis par l’article 1110 comme les contrats dont les conditions générales sont soustraites à la négociation et sont déterminées à l’avance par l’une des parties.

 Ainsi, afin de protéger la partie considérée comme étant la plus faible (dès lors qu’elle n’a pas été en mesure de négocier les termes de son engagement), l’article 1171 accorde au juge le pouvoir d’apprécier le contenu du contrat et de neutraliser certaines clauses.

 La notion de déséquilibre significatif est éminemment imprécise, l’article 1171 ne posant aucune limite au pouvoir d’appréciation du juge, à la différence du droit de la consommation et du droit de la concurrence.

 Le juge pourra toutefois recourir à l’appréciation du « déséquilibre significatif » faite dans le cadre de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce relatif aux pratiques restrictives de concurrence ou à celle visée à l’article L.132-1 du code de la consommation relatif aux clauses abusives.

 En tout état de cause, l’étendue du contrôle ne pourra pas porter sur l’objet du contrat et la proportionnalité du prix.

 Les hypothèses de recours à l’article 1171 du Code civil seront probablement limitées, dès lors que les dispositions de l’article L.132-1 du code de la consommation sont plus protectrices du droit des consommateurs du fait de la faculté du juge de révéler d’office le caractère abusif d’une clause[11], des listes des clauses noires et grises réputées abusives[12], et de l’existence d’amendes administratives élevées[13].

 De même, les dispositions de l’article L.442-6,I, 2° du code de commerce sont, quant à elles plus protectrices des professionnels, dès lors qu’elles s’appliquent également à la proportionnalité du prix.

C.                L’abus de dépendance économique

Afin d’assurer la protection des personnes vulnérables, la réforme du droit des contrats a assimilé à la violence l’abus de la dépendance dans lequel se trouve le cocontractant.

 L’article 1143  du Code civil dispose qu’ « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

 L’abus de dépendance ne se réduit pas à la seule « dépendance économique », mais vise tous les cas de dépendance (psychologique, psychique et affective).

 Afin « d’objectiver l’appréciation » de cet abus, il est apprécié par rapport à l’« avantage manifestement excessif »[14] qu’en retire son cocontractant.

 Toutefois, cette notion se rattache davantage à la lésion qu’à la violence et permet une remise en cause de la validité du contrat en considération de la comparaison des bénéfices que chacune des parties en retire.

 Ce texte procède donc d’une confusion entre la cause et l’effet en ne sanctionnant pas tant l’usage de menace ayant contraint une partie, que l’« avantage manifestement excessif » qu’en retire l’autre. Or, il est possible d’imaginer un abus d’un état de dépendance en l’absence d’un avantage manifestement excessif. Tel serait le cas d’une personne en état de dépendance affective à l’égard de celle qui lui vend un bien au prix du marché.

 A l’inverse, le seul état de dépendance suffirait à annuler un contrat procurant un avantage manifestement excessif à l’autre partie, alors même qu’aucune menace n’aurait été utilisée.

 Ce texte tend à conférer au juge un pouvoir de contrôle de l’économie même du contrat et à sanctionner la lésion réalisée au détriment d’une personne vulnérable.

  1. Décret 2015-282 du 11 mars 2015, Notice
  2. Communiqué de presse du Conseil des ministres du 31 juillet 2015 ; Etude d’impact – projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle
  3. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
  4. Alain Bénabent, Les nouveaux mécanismes, revue des contrats hors-série avril 2016. 
  5. PERROT, Cours de droit judiciaire privé, Les cours de droit, 1980, p. 79
  6. Alain Bénabent, Les nouveaux mécanismes, revue des contrats hors-série avril 2016. 
  7. Cass. Mixte, 26 mai 2006, n°03-19.376
  8. Cass. Civ 3e 24 oct.2012 n°11-21.980
  9. Article 1217 du code civil
  10. R. Demogue, les notions fondamentales du droit privé, Essai critique, Paris : Librairie nouvelle de Droit et de Jurisprudence 1911
  11. Article L.141-4 du code de la consommation
  12. Article R.132-1 et 132-2 du code de la consommation
  13. Article L.132-2 du code de la consommation
  14. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Article rédigé par Antoine CHATAIN et Jean-Philippe ERB paru dans la revue Semaine Juridique – Entreprises et Affaires – N° 18 – 4 mai 2017

Voir l’article : « les conséquences de la réforme du droit des contrats sur l’intervention du juge »