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26 septembre 2018 Actualités PUBLICATIONS

Tribune de l’Assurance – « Litiges : la transaction en matière d’assurance »

La transaction, contrat spécial prévu par les dispositions des articles 2044 et suivants du Code civil, a pour objet de mettre un terme à une contestation née ou de prévenir une contestation à naître. Quel est le rôle du dénouement transactionnel des litiges en assurances ?

Lorsqu’un sinistre occasionne un litige avec un assuré ou avec un tiers impliquant la mobilisation de la garantie ou la mise en cause des responsabilités, les assureurs préfèrent très souvent un dénouement transactionnel à un procès dont le coût et l’issue sont difficiles à provisionner.

L’assuré de son côté bénéficiera d’une indemnisation plus rapide et évitera des procédures chronophages durant lesquelles les relations commerciales avec les tiers sont mises en péril. Depuis longtemps, les assureurs de responsabilité stipulent dans leur police d’assurance des clauses dites de « transaction » leur donnant mandat pour transiger avec le tiers victime au nom et pour le compte de l’assuré.

La Cour de cassation a reconnu la validité de ces clauses et, allant plus loin, elle a même jugé que l’assureur engage l’assuré en transigeant avec le tiers victime même pour un montant supérieur au plafond de garantie (Cass. 1 civ., 19 déc. 1979 : Bull. civ. 1979, I, n° 329), sauf pour l’assuré à démontrer que l’assureur a commis une faute engageant sa responsabilité (Cass. 1 civ., 21 juill. 1954 : RGAT 1954, p. 427, obs. A. B).

L’inclinaison des assureurs à transiger les litiges auxquels ils sont confrontés s’inscrit dans une ère où le législateur incite les justiciables à recourir aux modes de règlement amiable et légifère en conséquence.

Tout d’abord, la transaction a subi une première mise à jour avec la réforme du droit des contrats en 2016, notamment en ce qui concerne ses conditions de formation et celles relatives à sa contestation.

Ainsi, est désormais applicable l’article 1143 du Code civil selon lequel la violence, qui peut se comprendre comme l’abus de dépendance économique, peut conduire à la nullité du contrat. Ces dispositions pourraient dorénavant être plus souvent opposées aux assureurs dans les années à venir.

Ensuite, le contrat de transaction a spécifiquement été modifié avec la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de « modernisation de la justice du XXI siècle ». Cette réforme, essentiellement à droit constant, a voulu la rendre plus efficace en précisant son régime et en supprimant les dispositions surabondantes.

La nouveauté notoire de cette réforme est la consécration de la jurisprudence qui, en plus d’une « contestation née ou à naître », exige de façon habituelle la présence de concessions réciproques.

Concernant les conditions de forme, il est admis que la transaction est un contrat et en tant que tel, régi par le principe du consensualisme. Cependant, par dérogation au droit commun, il est exigé que la transaction soit écrite et signée, même en cas d’une transaction portant sur un objet ayant une valeur
inférieure à 1 500 €. La simple preuve de l’ « échange des consentements » est insuffisante. Cette règle se justifie par la nécessité d’exclure toute contestation quant à l’existence et à la portée d’un contrat dont l’objet est de prévenir ou de vider toute contestation.

Les conséquences de la transaction sont également clarifiées car sont réécrites les dispositions relatives à son effet juridictionnel. Désormais, il est consacré par le Code civil que la transaction « fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ».

Transiger pour moins judiciariser

Dès lors qu’une transaction intervient, est rendue irrecevable toute demande en justice ayant pour fondement le même dommage.

En ce sens, la Cour de cassation a récemment rejeté la demande d’une victime tendant à la réparation de chefs de préjudice qu’elle estimait non compris dans la transaction. Elle a rappelé que la victime avait déclaré « avoir été remplie de tous ses droits à indemnisation des conséquences de l’accident ».
En conséquence, la transaction fait obstacle à l’introduction d’une demande en justice ayant le même objet. Elle a autorité de chose jugée sur toute demande d’indemnisation supplémentaire de la victime qui porte sur le même fait générateur (Cass. Crim., 13 juin 2017, n 16-83545).

S’agissant de la portée de la transaction, l’article 2051 du Code civil dispose que cette convention est inopposable aux tiers. La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler avec autorité à un assureur dans un arrêt récent : « Qu’en statuant ainsi, alors que la transaction conclue entre l’assureur et la victime ne pouvait être opposée à M. X…, tiers à cette convention, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. 2 Civ., 8 fév. 2018, n° 16-20951).

L’article L.124-2 du Code des assurances autorise par ailleurs l’assureur à stipuler une clause d’inopposabilité des transactions « intervenues en dehors de lui ».

Sur ce fondement, la Cour de cassation a jugé que l’absence de réponse de l’assureur aux informations transmises par l’assuré sur les pourparlers transactionnels avec le tiers victime ne vaut pas renonciation à la clause d’inopposabilité stipulée par la police et que l’assuré ne peut dès lors se prévaloir de la transaction conclue avec le tiers dans ses rapports avec son assureur (Cass. 2 Civ. 8 sept. 2016, n° 15-22814).

En outre, il ne faut pas oublier que la transaction conclue dans le cadre d’une police d’assurance est soumise à la prescription biennale prévue par l’article L.114-1 du Code des assurances. Le juge rappelle régulièrement que l’action en exécution d’une transaction relative au règlement du sinistre dérive du
contrat d’assurance (Cass. 2 Civ., 19 nov. 2015, n° 13-23095).

Mais, la transaction n’est qu’un des modes amiables de résolution des litiges prévus par le législateur. Le Code de procédure civile envisage également et de manière plus vague la résolution d’un litige par un « accord ». Or, un certain flou règne autour du régime juridique de ces accords, tout comme
d’ailleurs autour des accords d’indemnisation utilisés couramment dans la gestion des sinistres.

En effet, un accord d’indemnisation n’est pas nécessairement une transaction, bien que ce terme soit régulièrement employé pour qualifier ces accords de manière inappropriée. Cette appréciation fait l’objet d’un consensus par la doctrine. En effet, premièrement, l’indemnisation par l’assureur ne passe pas systématiquement par un stade conflictuel. Dans ce contexte, la notion de litige né ou à naître sera donc manquante. Deuxièmement, l’absence de litige entraîne l’absence du second élément constitutif des transactions que sont les concessions réciproques. La Cour de cassation a ainsi eu l’occasion d’énoncer que le paiement par l’assureur d’une indemnité prévue par la police d’assurance ne constitue pas, en lui-même, une concession réciproque et ne caractérise donc pas la conclusion d’une transaction (Cass. 1 Civ., 4 juin 2014, n° 13-11749). Dès lors, un accord d’indemnisation n’est pas une transaction, au sens des articles 2044 et suivants du Code civil.

Fait exception, le cas où c’est le législateur lui-même qui leur confère la nature juridique de transaction, notamment dans le cadre de la loi Badinter du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation ou encore de l’assurance dommages-ouvrage. Dans ces hypothèses, l’absence de concessions réciproques n’altère pas la validité de transactions, qui sont alors conclues en vertu d’un régime spécial (Cass. 2 Civ., 16 nov. 2006, n° 05-18631).

La transaction constitue un outil efficace de gestion des sinistres qu’il convient toutefois de manipuler avec beaucoup de prudence.

Retrouvez l’article paru le 11 septembre 2018 sur le site du journal La Tribune de l’Assurance  : ici

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Tribune de l’Assurance – « Litiges : la transaction en matière d’assurance »

La transaction, contrat spécial prévu par les dispositions des articles 2044 et suivants du Code civil, a pour objet de mettre un terme à une contestation née ou de prévenir une contestation à naître. Quel est le rôle du dénouement transactionnel des litiges en assurances ?

Lorsqu’un sinistre occasionne un litige avec un assuré ou avec un tiers impliquant la mobilisation de la garantie ou la mise en cause des responsabilités, les assureurs préfèrent très souvent un dénouement transactionnel à un procès dont le coût et l’issue sont difficiles à provisionner.

L’assuré de son côté bénéficiera d’une indemnisation plus rapide et évitera des procédures chronophages durant lesquelles les relations commerciales avec les tiers sont mises en péril. Depuis longtemps, les assureurs de responsabilité stipulent dans leur police d’assurance des clauses dites de « transaction » leur donnant mandat pour transiger avec le tiers victime au nom et pour le compte de l’assuré.

La Cour de cassation a reconnu la validité de ces clauses et, allant plus loin, elle a même jugé que l’assureur engage l’assuré en transigeant avec le tiers victime même pour un montant supérieur au plafond de garantie (Cass. 1 civ., 19 déc. 1979 : Bull. civ. 1979, I, n° 329), sauf pour l’assuré à démontrer que l’assureur a commis une faute engageant sa responsabilité (Cass. 1 civ., 21 juill. 1954 : RGAT 1954, p. 427, obs. A. B).

L’inclinaison des assureurs à transiger les litiges auxquels ils sont confrontés s’inscrit dans une ère où le législateur incite les justiciables à recourir aux modes de règlement amiable et légifère en conséquence.

Tout d’abord, la transaction a subi une première mise à jour avec la réforme du droit des contrats en 2016, notamment en ce qui concerne ses conditions de formation et celles relatives à sa contestation.

Ainsi, est désormais applicable l’article 1143 du Code civil selon lequel la violence, qui peut se comprendre comme l’abus de dépendance économique, peut conduire à la nullité du contrat. Ces dispositions pourraient dorénavant être plus souvent opposées aux assureurs dans les années à venir.

Ensuite, le contrat de transaction a spécifiquement été modifié avec la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de « modernisation de la justice du XXI siècle ». Cette réforme, essentiellement à droit constant, a voulu la rendre plus efficace en précisant son régime et en supprimant les dispositions surabondantes.

La nouveauté notoire de cette réforme est la consécration de la jurisprudence qui, en plus d’une « contestation née ou à naître », exige de façon habituelle la présence de concessions réciproques.

Concernant les conditions de forme, il est admis que la transaction est un contrat et en tant que tel, régi par le principe du consensualisme. Cependant, par dérogation au droit commun, il est exigé que la transaction soit écrite et signée, même en cas d’une transaction portant sur un objet ayant une valeur
inférieure à 1 500 €. La simple preuve de l’ « échange des consentements » est insuffisante. Cette règle se justifie par la nécessité d’exclure toute contestation quant à l’existence et à la portée d’un contrat dont l’objet est de prévenir ou de vider toute contestation.

Les conséquences de la transaction sont également clarifiées car sont réécrites les dispositions relatives à son effet juridictionnel. Désormais, il est consacré par le Code civil que la transaction « fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ».

Transiger pour moins judiciariser

Dès lors qu’une transaction intervient, est rendue irrecevable toute demande en justice ayant pour fondement le même dommage.

En ce sens, la Cour de cassation a récemment rejeté la demande d’une victime tendant à la réparation de chefs de préjudice qu’elle estimait non compris dans la transaction. Elle a rappelé que la victime avait déclaré « avoir été remplie de tous ses droits à indemnisation des conséquences de l’accident ».
En conséquence, la transaction fait obstacle à l’introduction d’une demande en justice ayant le même objet. Elle a autorité de chose jugée sur toute demande d’indemnisation supplémentaire de la victime qui porte sur le même fait générateur (Cass. Crim., 13 juin 2017, n 16-83545).

S’agissant de la portée de la transaction, l’article 2051 du Code civil dispose que cette convention est inopposable aux tiers. La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler avec autorité à un assureur dans un arrêt récent : « Qu’en statuant ainsi, alors que la transaction conclue entre l’assureur et la victime ne pouvait être opposée à M. X…, tiers à cette convention, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. 2 Civ., 8 fév. 2018, n° 16-20951).

L’article L.124-2 du Code des assurances autorise par ailleurs l’assureur à stipuler une clause d’inopposabilité des transactions « intervenues en dehors de lui ».

Sur ce fondement, la Cour de cassation a jugé que l’absence de réponse de l’assureur aux informations transmises par l’assuré sur les pourparlers transactionnels avec le tiers victime ne vaut pas renonciation à la clause d’inopposabilité stipulée par la police et que l’assuré ne peut dès lors se prévaloir de la transaction conclue avec le tiers dans ses rapports avec son assureur (Cass. 2 Civ. 8 sept. 2016, n° 15-22814).

En outre, il ne faut pas oublier que la transaction conclue dans le cadre d’une police d’assurance est soumise à la prescription biennale prévue par l’article L.114-1 du Code des assurances. Le juge rappelle régulièrement que l’action en exécution d’une transaction relative au règlement du sinistre dérive du
contrat d’assurance (Cass. 2 Civ., 19 nov. 2015, n° 13-23095).

Mais, la transaction n’est qu’un des modes amiables de résolution des litiges prévus par le législateur. Le Code de procédure civile envisage également et de manière plus vague la résolution d’un litige par un « accord ». Or, un certain flou règne autour du régime juridique de ces accords, tout comme
d’ailleurs autour des accords d’indemnisation utilisés couramment dans la gestion des sinistres.

En effet, un accord d’indemnisation n’est pas nécessairement une transaction, bien que ce terme soit régulièrement employé pour qualifier ces accords de manière inappropriée. Cette appréciation fait l’objet d’un consensus par la doctrine. En effet, premièrement, l’indemnisation par l’assureur ne passe pas systématiquement par un stade conflictuel. Dans ce contexte, la notion de litige né ou à naître sera donc manquante. Deuxièmement, l’absence de litige entraîne l’absence du second élément constitutif des transactions que sont les concessions réciproques. La Cour de cassation a ainsi eu l’occasion d’énoncer que le paiement par l’assureur d’une indemnité prévue par la police d’assurance ne constitue pas, en lui-même, une concession réciproque et ne caractérise donc pas la conclusion d’une transaction (Cass. 1 Civ., 4 juin 2014, n° 13-11749). Dès lors, un accord d’indemnisation n’est pas une transaction, au sens des articles 2044 et suivants du Code civil.

Fait exception, le cas où c’est le législateur lui-même qui leur confère la nature juridique de transaction, notamment dans le cadre de la loi Badinter du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation ou encore de l’assurance dommages-ouvrage. Dans ces hypothèses, l’absence de concessions réciproques n’altère pas la validité de transactions, qui sont alors conclues en vertu d’un régime spécial (Cass. 2 Civ., 16 nov. 2006, n° 05-18631).

La transaction constitue un outil efficace de gestion des sinistres qu’il convient toutefois de manipuler avec beaucoup de prudence.

Retrouvez l’article paru le 11 septembre 2018 sur le site du journal La Tribune de l’Assurance  : ici